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09/12/2020

KR'TNT ! 488 : ANDY ELLISON / JOHN LYDON / STEPPENWOLF / JANIS JOPLIN / SOUL TIME / ROCKAMBOLESQUES XI

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 488

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

10 / 12 / 2020

 

ANDY ELLISON / JOHN LYDON

STEPPENWOLF / JANIS JOPLIN / SOUL TIME

ROCKAMBOLESQUES XI

TEXTE + PHOTOS SUR  :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/…

 

Qui a inventé l’électricité ? Ellison, bien sûr !

 

Ouf ! Enfin un article sur Andy Ellison ! Pour de vrai ? Oui, pour de vrai. C’est Shindig! qui se charge de célébrer cet hommage inespéré. Cinq pages, c’est pas beaucoup, mais c’est mieux que rien. Andy Ellison est aussi vital à l’histoire du rock anglais que peuvent l’être Jesse Hector, Ronnie Lane ou Dave Kusworth. John Mojo Mills fait rouler l’interview que nous allons croiser avec la lecture d’un petit book que Dave Thompson consacra en 1985 à John’s Children et qui est reparu en 2012, revu et corrigé. Merveilleux objet, facile à lire, rapide et dense. John’s Children ? Une légende, un seul album, un modèle du genre.

Andy Ellison, Chris Townson, Geoff McClelland et John Hewlett forment The Silence au début des sixties. Ce sont des Mods purs et durs. La bassman John Hewlett entre en contact avec Simon Napier-Bell et lui demande de manager le groupe. Napier-Bell n’en revient pas de voir un groupe aussi nul. Il accepte, mais en contrepartie, il leur demande d’obéir à ses ordres. Napier-Bell croit que pour s’imposer en Angleterre, il faut faire scandale. En utilisant la même stratégie avec les Move, Tony Secunda réussira l’exploit de les tourner en ridicule.

Comme Andrew Loog Oldham, Secunda, Don Arden et bien d’autres affairistes du début des sixties, Napier-Bell avait compris qu’en misant sur le bon cheval, il pouvait s’enrichir très vite. Il avait misé sur les Yardbirds et tenté de sauver leur carrière, mais les guitaristes successifs du groupe (Clapton, Beck et Page) avaient assez de caractère pour refuser de se laisser plumer. Jimmy Page transforma les Yardbirds en Led Zep et fit appel à Peter Grant qui en fait n’était rien d’autre qu’un sous-Arden. Pour la petite histoire, Don Arden méprisait profondément Grant qu’il avait embauché pour conduire la Rolls et emmener ses gosses à l’école. Dans son book, Don Arden considère Grant comme la dernière des fiottes.

Napier-Bell rebaptise le groupe John’s Children, c’est-à-dire les enfants de John Hewlet, le bassiste du groupe, pour lequel il a un faible. Il leur demande de s’habiller en blanc comme des anges. Puis il met au point sa stratégie de la violence scénique. Il achète dix mètres de chaîne en acier pour les combats et suggère que John et Andy se battent pour de vrai et qu’ils se déchirent mutuellement leurs vêtements. De son côté, Tony Secunda fit la même chose avec les Move : il demandait à Carl Wayne de fracasser des postes de télé à coups de hache et de déclencher des bagarres dans le public. Ça marche à tous les coups. Andy jette des paquets de plumes dans le public, les chaises volent et les gens se battent. Le tour est joué en cinq minutes. Intervention des flics. Napier-Bell les attend dehors au volant de la Bentley. Ils échappent de justesse à l’arrestation. Napier-Bell : «Andy s’était cassé le cou et il gisait sur la banquette avec la tête tournée comme celle d’un perroquet abîmé. Il avait aussi une grosse trace de semelle sur l’entre-jambe de son pantalon blanc. Il avait dû recevoir un mauvais coup de pied. Chris avait au visage une vilaine blessure faite avec une bouteille. John et Marc avaient le nez qui saignait. J’attendis qu’ils se détendent un peu puis je leur dis : ‘Je crois bien que la scène de violence sur scène prend une bonne tournure’».

Dans l’interview, Andy fournit tous les détails sur la fameuse tournée allemande en première partie des Who. Leur plan était simple : faire plus de barouf que les Who. Ils jetaient leurs tonnes de plumes et se battaient sur scène pendant que Marc Bolan, fraîchement enrôlé slashait sa guitare à coups de chaînes. Ça allait tellement loin que Kit Lambert finit par les virer de la tournée. Ils n’eurent pas que les Who comme ennemis : dans le Thompson book, Andy rappelle que Don Arden avait les John’s Children à l’œil, parce qu’ils représentaient une menace pour ses poulains les Small Faces.

Côté disks, les John’s Children n’ont pas eu le temps de faire grande chose. Thompson nous apprend que leur premier single «Smashed Blocked» fut enregistré par des musiciens de studio californiens - dont Hal Blaine - payés par Napier-Bell. Rassurez-vous, la voix est bien celle d’Andy. Phénomène typique de cette époque. Quand on demandait à Dee Dee Ramone qui avait joué sur End Of The Century, il répondait qu’il ne savait pas. Les Chocolate Watchband furent surpris de voir leur second album paraître sans qu’ils eussent joué la moindre note. Pour faire passer la pilule, Napier-Bell dévoile son stratagème : «Je leur ai fait boire quelques verres avant de commencer la prise de son. Ils en avaient un sacré coup dans le nez et je les ai laissés jouer. Puis je leur ai demandé de rentrer chez eux. Aussitôt après leur départ, j’ai jeté leur prise et je l’ai remplacée par celle faite à Los Angeles par des professionnels. Les gosses étaient tellement pétés qu’ils étaient incapables de savoir ce qu’ils avaient joué. Ils n’auraient appris la vérité que si quelqu’un avait vendu la mèche.»

Ils commencent à enregistrer leur album Orgasm dans les pires conditions : Napier-Bell n’arrête pas de regarder sa montre, il se plaint que les heures de studio lui coûtent une fortune et les pauvres John’s Children n’ont pas le temps de se mettre à l’aise pour jouer correctement.

Avec un nom pareil, Orgasm fut bien évidemment interdit par la BBC. Et comme de bien entendu, il est aujourd’hui activement recherché. Ceux qui le veulent doivent sortir les gros billets. L’intéressant de cette l’histoire, c’est qu’on retrouve le trash scénique du groupe dans les morceaux. «Midsummer Night’s Scene» pourrait bien être leur monster hit. Cette admirable pièce de psychout est plus barrettienne que le roi. Il se dégage de Midsummer la fulgurante fragrance des jardins mauves, alors que de grosses bulles oranges éclatent dans un ciel gélatineux. On trouve sur Orgasm un autre fleuron du psyché britannique, «Jagged Time Lapse», monté sur une étonnante ligne de basse, chanté perché et tiré par les cheveux. C’est le morceau scintillant par excellence, bien mixé, admirable et aventureux. Les John’s Children pouvaient aussi sonner comme les Who, avec lesquels ils se sentaient en concurrence. D’ailleurs, «But She’s Mine» est monté sur les accords de «Can’t Explain». D’autres morceaux comme «Cold On Me» et «Just What You Want» auraient pu smasher les charts, impeccables qu’ils sont, avec leurs grosse rasades de chœurs et de fuzz.

Quand ils jouent sur scène, ils ont une combine. Le guitariste Geoff McClelland tombe dans les pommes au signal - il n’a pas assez de sucre dans le sang - et chaque fois l’organisateur leur demande d’emmener le malheureux d’urgence à l’hôpital. Ce qui arrange bien le groupe qui doit jouer une demi-heure plus tard dans un autre club. Ce sont les petites routines de l’arnaque ordinaire telle que la pratiquaient les groupes pressurisés par des managers peu scrupuleux. Ian McLagan raconte dans ses mémoires que Don Arden ne payait jamais les musiciens, ni sur les ventes de disques ni sur les recettes des concerts. Il empochait tout. Par contre, il leur louait un appartement et mettait un chauffeur et une Jaguar à leur disposition sept jours sur sept - un bon moyen de les avoir à l’œil. Il leur ouvrait aussi des comptes chez les marchands de fringues de Carnaby Street. Comme Steve Marriott avait compris qu’il se faisait plumer, il prenait des piles de chemises, de vestes et de pantalons qu’il revendait ici et là - et il poussait les autres membres du groupe à en faire autant. On reste dans le même registre avec le classement au hit-parade. Napier-Bell voulait voir les John’s Children dans les charts. Il téléphona au rédacteur en chef de l’un des principaux canards de rock et lui expliqua ce qu’il voulait. Le mec lui demanda de venir le rejoindre au pub avec 200 £ en cash. Deux semaines plus tard, les John’s Children étaient dans les charts. Puis on tombe sur le passage puant, celui de l’éviction du pauvre Geoff McClelland : Napier-Bell convoque le groupe pour une répète et demande à Geoff de quitter la salle, car il ne fait plus partie du groupe. Même épisode que celui de l’éviction de Wally Nightingale des Sex Pistols par McLaren. Horrible horreur. Geoff encaisse le coup comme il peut, il va serrer la main à ses copains et sort de la pièce. Il est remplacé par Marc Bolan. Napier-Bell voyait du potentiel dans le petit Bolan puisqu’il savait composer des chansons.

Comme ça les amusait de choquer la BBC avec Orgasm, ils décidèrent d’en rajouter une couche en titrant leur deuxième album John’s Children Playing With Themselves (ce qui, traduit en français donnerait : les John’s Children se branlent). Ce deuxième album ne vit jamais le jour, mais des tas de moutures compilatoires ont depuis fait leur apparition, à cause de Marc Bolan : Playing With Themselves. Vol 1 et 2, Smashed Blocked, Jagged Time Lapse - Rare & Unreleased.

Bolan ne va rester que quelques mois dans les John’s Children, le temps de composer «Desdemona», «Mustang Ford» et quelques autres bricoles. Le groupe pousse «Desdemona» dans le trash habituel mais Bolan massacre la fin du morceau en faisant la chèvre. Ils repompent un riff des Small Faces pour «Remember Thomas A Beckett», mais le résultat en valait la peine. On se retrouve là avec une vraie dinguerie, une belle pièce de psychout perverti, dotée du gros son de basse et d’harmonies vocales dignes de celles de Steve Marriott & Ronnie Lane. Grâce à son talent fou, Andy sauve la plupart des compos de Bolan, comme «Sarah Crazy Child» et «Mustang Ford». «Come And Play With Me In The Garden» sonne comme un hit des Small Faces. Et leur reprise de «Help» permet de mesurer toute l’étendue du talent vocal d’Andy. Une version live de «Hot Rod Mama» enfonce encore le clou : au chant, Andy et Bolan s’échangent les couplets. Bolan fait la chèvre et c’est insupportable. Pour Andy, c’est un jeu d’enfant que de faire la différence. Il a tellement la classe qu’il en devient exaltant et donc on exulte. Prodigieusement bien produit, avec un son de basse bien rond et un chant glam bien épaulé, «Cashbah Candy» aurait logiquement dû atteindre le top of the pops. Ce groupe disposait d’un potentiel énorme et le fait qu’il soit parti à vau l’eau est terriblement injuste.

Fin des haricots au retour de la fameuse tournée avec les Who : leur matériel est confisqué par la police allemande. Bolan qui ne supporte plus la madness quitte le groupe pour monter ce qu’Andy appelle a very gentle acoustic duo with a bongo player.

Thompson nous apprend aussi que Chris Townson sera invité un peu plus tard à remplacer Keith Moon pour quelques concerts des Who. Il en sera d’ailleurs ravi, car il gagnait chaque soir 40 £ ce qui à l’époque était une somme énorme. Après le départ de Bolan, Chris Townson tente de relancer le groupe en prenant la guitare et en mettant le roadie Chris Coville - from the Shepherd Bush mob - à la batterie. Bien sûr, Chrissy n’a jamais battu de se vie. Les John’s Children vont jouer leur dernier concert au Star Club de Hambourg. Comme leur matériel n’était pas arrivé, ils ont dû utiliser le premier soir l’équipement du groupe de première partie. Chris Townson raconte qu’en jouant, il voyait le propriétaire de la guitare le fixer intensément : «Je jouais vraiment comme un dégueulasse, et plus il me regardait, plus je jouais mal. Je l’ai vu ricaner et je me suis dit : ’Attends un peu, mon con joli’. Alors qu’il me regardait bien, j’ai crevé son ampli avec le manche de sa guitare et j’ai touillé là-dedans. La gueule qu’il tirait ! Puis j’ai lancé sa guitare dans le fond de la salle.»

Napier-Bell conseille ensuite à Andy de démarrer une carrière solo. Okay then alors il se rend à une audition chez Lionel Bart pour participer au tournage de The Virgin Soldiers, mais quand on lui demande de couper ses cheveux, il refuse. Dégage !

Andy entame alors sa traversée du désert : il peint des toiles qu’il vend en porte-à-porte, puis il travaille dans une boulangerie - Beckers Bakers of Finchley - John Hewlett qui est devenu manager de Jook lui propose un job de roadie et voilà qu’il part en tournée avec Jook dans le Sud de la France. Son vieux pote Chris Townson est le batteur de Jook. La côte lui plaît et il y reste après la fin de la tournée. Un an à Saint-Raphaël. Jusqu’au jour où il entend «Ride A White Swan» dans un jukebox - I recognize that voice. My old mate Marc. Well that’s it. I’ve got to get back et get into a band - À peine est-il rentré à Londres que le téléphone sonne.

Jook allait devenir l’un des plus grands groupes anglais, mais ils splittent à cause des Sparks. Fraîchement débarqués à Londres, les frères Mael embauchent Trevor White, ce qui met Jook par terre. Chris Townson est furieux ! Puis les frères Mael virent Martin Gordon. John Hewlett devient le manager des Sparks, mais comme il aime bien Martin Gordon, il lui suggère de monter un groupe dans son coin. Ce sera Jet, un super-groupe glam. Martin Gordon, Chris Townson et Davey O’List cherchent un chanteur et c’est là que Chris Townson appelle Andy : «Fancy coming down to a rehearsal ?». Et comme Andy est l’un des meilleurs glamsters d’Angleterre, allez hop, Jet ! L’album de Jet est bon, mais il passe à la trappe, va-t-en savoir pourquoi. Sur des morceaux comme «Nothing To Do With Us» et «Fax’n’Info», Andy chante comme un dieu, mais les compos de Martin Gordon manquent de réalisme. On sent qu’il a passé du temps en compagnie des frères Mael et qu’il a subi une sale petite influence baroque à la noix de coco. On entend ici et là des solos déments de Davey O’List. Dans «Tittle-Tattle», ils envoient du bois, comme disaient les bûcherons à l’époque de Bourvil. C’est un véritable paradis glam, avec les lignes de basses ultra-fluides de Martin Gordon, la fabuleuse powerhouse de Chris Townson, le chant ziggoïde d’Andy Ellison et le furieux débit des interventions liquides de Davey O’List. Avec en prime un final apocalyptique. Ça s’appelle un morceau sauveur d’album. «Cover Girl» est une autre énormité cavalante. Au fond, Davey fait un travail de dingue. Ce mec est un dieu du glougloutage psychédélique. Comme c’est RPM qui exhume l’album de Jet, on a droit à un disque entier de bonus qui sont des démos et des morceaux live. On entre sur ce disque comme dans la caverne d’Ali-Baba. Oh la la ! On démarre avec une reprise de «Desdemoda» bien stompée. Ce groupe allait devenir énorme, avec les solos liquides de Davey O’List. Absolument énorme. Pour une fois, ce n’est pas exagéré. «Around The World In 80 Minutes» était un morceau prévu pour le second album qui n’a jamais vu le jour. C’est un classique glam de rêve, authentique, nerveux, perverti, ambigu et aussi musclé des cuisses que Ziggy, avec bien sûr à la clé un gros solo morveux de Davey O’List, génie patenté. Martin Gordon dégomme tout ça à la basse. Voilà les seigneurs du sucre d’orge et de la dégomme glammy. En écoutant «Lady Ricochet», on réalise que ces mecs-là se situaient très au-dessus de la moyenne. Andy : «Punk music had arrived - basically everything John’s Children had already shocked audiences with ten years earlier.» Andy a raison de rappeler qu’ils avaient dix ans d’avance. Jet tapait aussi dans le haut de gamme de la pop anglaise. Avec «We Love Noise», ils nous donnent une idée de ce que signifie le mot puissance. Ils ont un son plein comme un œuf - I think I am going deaf - Encore du glam dans la force de l’âge avec «Hand On My Heart», puis, avec cette aisance naturelle qui n’en finit plus de déconcerter, ils rendent hommage aux Small Faces avec une reprise de «Lazy Sunday», le morceau intouchable par excellence. Martin Gordon sale et poivre la chose avec une ligne de basse de son invention. Faramineux. Malheureusement, Jet dégage. Personne n’en veut. C’est à n’y rien comprendre.

Andy raconte qu’un jour de 1977, il se baladait dans Candem à la recherche d’une paire de Doc Martens et il aperçoit une boutique just around the corner from the station. Alors qu’il essaye ses pompes, il repère une enseigne indiquant Rock On Records à l’étage. Il trimballe toujours des cassettes sur lui et il raconte qu’il monte et tombe sur a large jovial figure with an Irish accent. Andy lui fait écouter «Dirty Pictures» et la jovial figure lui dit qu’il veut sortir le disk sur le champ. Mais au fait, comment s’appelle le groupe ? Andy écrit une série de noms sur un bout de papelard. Parmi eux se trouve celui de Radio Stars. Vendu ! Ted Carroll sort leur premier single sur Chiswick Records.

Les Radio Stars ne sont que trois : Andy, Martin Gordon (basse) et Ian Mcleod (guitare). Ils sont un peu comme les Only Ones : ils n’ont absolument rien à faire dans cette vague punk qui squatte la une de tous les music papers d’Angleterre. Andy, Martin et Ian gardent tous les trois de fières allures de glamsters et leur premier album, Songs For The Swinging Lovers, sort en 1978, bourré de hits glam. Notons au passage que sur la pochette, les swinging lovers se balancent au bout d’une corde. C’est probablement l’une des pochettes les plus macabres de l’histoire du rock. Côté look, Andy Ellison ressemble de plus en plus au grand Iggy péroxydé des années trash, avec sa frange de cheveux blonds, ses cernes sous les yeux et les risques physiques qu’il prend sur scène en escaladant les structures pour aller se jeter dans le public. Il va collectionner les fractures du crâne et de la mâchoire et se tailler une réputation de glam-cascadeur. S’ils sont référencés «punk» dans la presse anglaise, c’est surtout nous dit Andy à cause du wild stage act. Il répète à qui veut l’entendre que les Radio Stars n’ont jamais voulu faire de politique. Ils montaient sur scène to be loud, have a good time, go crazy - Et Andy s’accrochait aux rails de projos pour chanter suspendu à plusieurs mètres du sol. Pendant la tournée avec Eddie & the Hot Rods, Andy avoue avoir fait plusieurs séjours à l’hosto - broken knee caps, broken coccyx, cut a major artery in my hand, the list goes on - Il explique que plus il prenait des risques et plus le public en redemandait, alors il ne pouvait plus reculer. Il avait un mini-trampoline derrière la batterie et pour ouvrir le show il sautait par dessus le batteur. Il sautait si haut qu’un jour il est tombé dans le public, envoyant un photographe à l’hosto.

«Dirty Pictures» ouvre le bal du premier album des Radio Stars. Retour en force du glam, porté par l’excellent jeu de basse de Martin Gordon. En 1977, le glam n’intéresse plus personne. Les Radio Stars s’en foutent et en resservent une louche. Et du bon. Du bien gras. Du qui coule entre les doigts. Sur la B, «Don’t Waste My Time» et «Nice Girls» sonnent aussi comme des pépites glam. On trouve aussi sur ce premier album du bon vieux heavy rock. Martin Gordon démarre «Talkin’ About You» à la basse et Ian Mcleod le rejoint et livre un peu plus tard une espèce de solo fleuve. Mcleod continue de se coiffer comme Brian Connolly des Sweet. Rien à foutre des coupes de punks. Ils terminent cet album impertinent avec un petit glam-rock à la Bowie, «No Russians In Russia». Voilà pourquoi le groupe est passé à l’as en 1977. Le glam était passé de mode. Les Pistols et les Clash focalisaient l’attention d’un public affamé de pain et de jeux.

Roger Armstrong et Ted Carroll continueront de faire confiance à Andy, puisqu’un deuxième album sort sur Chiswick l’année suivante. On voit nos trois glamsters bien coiffés assis en maillots de bain et en tongs autour d’une table de plage un peu gondolée. Nous ne sommes pas sur une plage des Bahamas, mais juste à côté de la station de métro Oxford Circus, à Londres. On a mis un peu de sable sur le bitume, un ballon de plage et une fausse poule sensée faire la mouette. Autour d’eux, les badauds reluquent. On trouve sur cet album des glam-rocks des enfers comme «Boy Meets Girl». On y entend aussi des solos très pointus de Ian Macleod («Sitting In The Rain»), ce qui était très mal vu, à l’époque. Retour au stomp avec l’excitant «Rock’n’Roll For The Time Being». Ian Macleod riffe comme un fou sur «Get On A Plane» et s’inscrit dans la grande tradition des guitaristes anglais. Andy chante «I’m Down» à la manière de Ziggy et ils terminent avec un pastiche savoureux des Shangri-Las, «It’s All Over». Andy raconte que sa poule monte sur sa moto, qu’elle s’en va et se fout dans un mur (She rode into a wall).

La poisse semble s’acharner sur le pauvre Andy : les albums des Radio Stars se vendent mal. Il aurait pu rejoindre les milliers de collègues enterrés au cimetière des rêves brisés du rock. C’est mal connaître l’animal. Il décide de traverser les décennies austères en remontant inlassablement des groupes et en s’appuyant sur le capital culte de l’épisode John’s Children.

En 1992, Chiswick ressort sur un CD tous les singles des Radio Stars et quelques inédits. L’album s’appelle Somewhere There’s A Place For Us. Il est chaudement recommandé. La plupart des singles du groupe sonnent comme des classiques. Par exemple, «Radio Stars», premier single du groupe, est une belle pièce de glam-punk tenue en haleine. «Dirty Pictures» est plus glam que gloom. Andy élève le glam au rang d’art suprême. Il sait mouiller ses syllabes et semer le trouble dans le pantalon des matelots de la Cunard. Dès qu’il s’agit de stomper dans tous les coins, les Radio Stars sont à l’aise. Avec «Arthur Is Dead Boring», ils se font experts d’un glam punk bien coiffé, bourré d’énergie et glamourous à souhait, très anglais, en fait. Pur stomp encore avec «Good Personality». Et on tombe un peu plus loin sur une magnifique cover de «Dear Prudence». Son de basse fantastique, la perle du siècle - look around - «From A Rabbit» est un hit digne des Sweet, complètement tournicotant, splendide pièce de glam à l’ancienne qui montre l’incroyable vitalité de ce groupe qui savait tout jouer : le glam, le glam-punk, la pop et le stomp. Leur fantastique énergie reste un modèle. Quand on a goûté à ça, on ne perd plus jamais de vue un personnage aussi brillant qu’Andy Ellison. Un hit comme «Sail Away» aurait dû finir au top of the pops. C’est aussi bon que les meilleurs cuts de Ziggy. Encore une monstruosité inconnue : «I’m Talking About You». Petite leçon de vertige. Ils coupent la chique au garage et viandent leur glam d’un killer solo d’antho à Toto. Foutraque et bon, «Baffin Island» est vraiment digne des Kinks. En prime, le livret propose un texte passionnant de Dan Dimancescu. Il donne une petite idée de la détermination d’un Andy qui refusait obstinément de jeter l’éponge après le split de Jet.

Après celle de Ted Carroll, Andy fait une autre rencontre déterminante. Il fait ses courses dans une épicerie de West Hampstead, dans le Nord de Londres. Il vit là. Un mec arrive à la caisse derrière Andy et lui tape sur l’épaule pour lui expliquer qu’il le connaît parce que les John’s Children étaient son groupe préféré. Tu m’en diras tant ! Le mec ajoute qu’il connaît par cœur tous les morceaux des John’s Children. What ? Andy n’en revient pas. Il a en face de lui Boz Boorer, le guitariste des Polecats puis de Morrissey (et qui joue aujourd’hui dans les Sure Can Rock). Et crac boom hue, comme dirait Jacquot ! - Fancy reforming ? - Boz propose son studio à Andy pour enregistrer un album de reformation des John’s Children.

Et boom, Black And White sort sur le prestigieux label Acid Jazz d’Eddie Piller. Un vrai rêve. Boz Boorer sait qu’Andy est une vraie star. Black And White est un album solide, encore une fois chaudement recommandé. Ça démarre avec ce qui pourrait bien passer pour un hymne Mod, «I Got The Buzz». Énorme compo de Martin Gordon qui est venu spécialement de Berlin où il vit pour enregistrer cet album. Spectaculaire retour en force des John’s Children. On va de hit en hit. «Turned To Share» est un mid tempo d’une incroyable élégance, «This Is Your Wife», compo de Boz et d’Andy, a quelque chose d’explosif. Réactualisation de «Perfumed Garden Of Gulliver Smith», joyau psyché, et gros travail de Martin Gordon, derrière, à la basse. Quel culot, ils reprennent une fois de plus l’intouchable «Lazy Sunday» et Andy le déprave bien, en bon seigneur des gutters de Whitechapel. Arrive ensuite une merveille digne des Who : «Oh No (She Wouldn’t Swallow It)», extravagant de classe supérieure, oh yeah, bardé de chœurs who-ish, qui nous ramène à l’aube des temps, c’est-à-dire en 1964. S’ensuit une reprise fabuleuse d’«Eleanor Rigby» et Andy réussit là où les Damned se sont vautrés en voulant ré-interpréter l’«Help» des Beatles. Andy parvient à générer du punk dans la viande même d’Eleanor. Il a derrière lui l’un des meilleurs orchestres du monde. Chris Townson bat comme un dératé, Boz joue comme un fou et Martin Gordon louvoie sous la peau du son. Ces mecs sont complètement dingues. Et une fois de plus, Andy devient le plus grand chanteur de l’univers le temps d’une chanson. Vous voilà prévenus.

En 2006, paraît un album solo d’Andy sur Voiceprint, Cornflake Zoo, qui comme tout le reste, passe à la trappe de Père Ubu. Andy a rassemblé des morceaux et il les commente dans le petit livret qui accompagne le disk. On retrouve les morceaux bricolés avec Bolan, comme «Casbah Candy», et ça sonne comme du T.Rex, avec un beau stomp de basse. Comme les Damned, Andy propose une reprise d’«Help», mais la sienne est plus psyché. Il reprend aussi «Foot From Upper Eden», un morceau de Grapefruit - groupe qui fut signé sur Apple - Comme Andy a une vraie voix, il s’intéresse aux vraies chansons. Sur «Life’s Too Short», Trevor White vient donner un coup de main, ce qui est sympa. Puis on tombe sur le vrai hit de l’album, un morceau intitulé «Heather Lane», qu’on retrouve sur un album d’Andy Lewis, Billion Pound Project. Andy y est invité à chanter ce morceau superbement orchestré et pour finir, clin d’œil à Boz qui habite au coin de la rue, avec «Anyway Goodbye».

On trouve également dans le commerce un album live, Music For The Herd Of Herring, enregistré lors de plusieurs concerts en l’an 2000. Là-dessus, les vieux copains Chris Townson, Ian Mcleod, Martin Gordon, Trevor White et Boz Boorer viennent jouer avec Andy qui tape dans tout son répertoire : John’s Children, Jet et Radio Stars. C’est un véritable festival. On est vraiment ravi d’entendre les copains rejouer ensemble, ce sont des héros de l’histoire du rock anglais et du coup l’album prend une dimension particulière. Ils balancent une version gaga du who-ish «But She’s Mine», sur laquelle la basse de Martin Gordon prédomine intensément. Version complètement délirante de «Sarah Crazy Child», avec un random trashing de Chris Townson qu’essaie de suivre à la basse Martin Gordon. Retour au psyché légendaire avec «Jagged Time Lapse», basse devant toute, et avec «The Perfumed Garden Of Gulliver Smith», tiré de l’âge d’or, version dévorante, embarquée une fois de plus à la basse, monstruosité sonique de psyché tantrique. On retourne dans Jet avec le musculeux «I Think I’m Going Deaf», bassmatiqué et glammé à la vie à la mort. S’ensuit un medley de trois Jet cuts bardé de solos gratuits. Sur «Johnny Mekon», Martin Gordon reprend le dessus à la basse. Il joue avec une sorte de génie vulcanien. Il roule en tout-terrain et multiplie les variantes à l’infini. Nos vieux camarades nous en bouchent un coin avec un recyclage du vieux «Dirty Pictures» et la guitare enchantée de Ian Mcleod, et ça se termine avec les lignes de basse ahuries de «Desdemona». Chris Townson frappe si fort qu’il enfonce la tête du morceau dans les épaules. Quel stomp atroce !

À la fin des seventies - c’est-à-dire après John’s Children, Jook, Jet et Radio Stars - Chris Townson jeta l’éponge. Plus question de faire le con derrière une batterie. Il devint illustrateur de renom, puis travailleur social. C’est à lui que revient l’immense honneur de conclure le petit book de Dave Thompson : «Les gens nous considéraient comme un grand groupe, mais nous n’étions qu’une bande de petits mecs qui ne pensaient qu’à déconner. Pour nous, être dans un groupe, ça ne voulait rien dire. Ça nous permettait juste de vivre autre chose que ce qu’on vit quand on travaille comme maçon ou autre chose. On n’était pas des vrais musiciens, on ne pensait qu’à faire les cons et à s’amuser.» Chris Townson est mort d’un cancer en 2008. God bless him.

Andy, lui, continue de brûler les planches. Burn baby burn.

Signé : Cazengler, Ellisonné des cloches

John’s Children. The Legendary Orgasm Album. Cherry Red Records 1982

John’s Children. Playing With Themselves. Vol 1 et 2. Zinc Alloy Records 1991

John’s Children. Smashed Blocked. Get Back 1997

John’s Children. Jagged Time Lapse - Rare & Unreleased. Vinyl Lovers 2009

John’s Children. Black & White. Acid Jazz 2011

Radio Stars. Songs For Swinging Lovers. Chiswick Records 1977

Radio Stars. Holiday Album. Chiswick Records 1978

Radio Stars. Somewhere There’s A Place For Us. Chiswick Records 1992

Radio Stars. Music For The Herd Of Herrings. Radiant Future 2001

Andy Ellison. Cornflake Zoo. Voiceprint 2006

Jet. Jet/Even More Light Than Shade. RPM Records 2010

Dave Thompson. John’s Children - A Midsummer Night’s Scene And Other Stories. 2012

Simon Napier-Bell. Black Vinyl White Powder. Ebury Press 2002

John Mojo Mills : Smashed! Blocked!. Shindig! # 109 - November 2020

 

Public Image Illimited - Part Two

 

Le confort moderne, c’est de poser son cul dans un bon canapé et d’attaquer la lecture du dernier interview de John Lydon. «Fréquenter» John Lydon ou Keith Richards à travers une interview, on appelle ça par ici la sécurité maximale. Deux époques différentes du rock anglais, deux intelligences supérieures du rock. Angles parfait, style parfait, crédit total, rien à redire. Juste lire. Et relire si on a le temps.

Sur la planète rock, il existe deux catégories de parleurs. Il y a ceux qui parlent du rock en tant que consommateurs de rock et il y a ceux qui sont le rock et qui en parlent. Le vieux Keef et le vieux Pistol qui sont au rock ce que l’air est à la vie savent dire les choses comme on aime les entendre, c’est aussi simple que ça. Et pas que musicalement.

Si John Lydon apparaît dans le dernier Mojo, c’est pour breaker les news, comme disent les Anglais : parution l’an prochain d’un troisième book intitulé I Could Be Wrong I Could Be Right et gros problème à la maison, car sa femme Nora a chopé Alzheimer. Lydon dit en gros ce qu’on sait tous : on ne se méfie jamais assez des moments de bonheur, mais il le dit à sa façon - I’m not a Christian kind of bloke, but God does like to test you, doesn’t he? Or is it Mother Nature? They do like to drop bombs. Just when you’re at your most superciliously confident (Je ne suis pas croyant mais God adore nous tester, pas vrai ? Ou Mère Nature. Ils lâchent des bombes quand on ne se méfie pas) - Il ajoute que les coups du sort nous aident à devenir plus ouverts et plus honnêtes, il va même jusqu’à dire que l’empathie est un bon remède. Ah ce mot empathie, combien de fois l’a-t-on entendu dans la bouche de consultants merdiques qui se prenaient pour les guides spirituels d’une petite collectivité d’apprenants. Ça doit être l’humour rottinien : «A bit of empathy cures a lot.» Et comme tout le monde, Lydon donne son point de vue sur ce que les Anglais appellent the lockdown et les Françaises la coufinade : l’épisode lockdown le fait marrer. Pour lui le problème est géré n’importe comment - just headless chicken-dom - c’est-à-dire que les gens au pouvoir courent dans tous les sens en faisant n’importe quoi, comme des poulets décapités, et que bien sûr derrière tout ça il y a des gros intérêts économiques liés aux vaccins et que de toute façon il n’est absolument pas question qu’on lui injecte à lui John Lydon des chemicals dans le corps - you don’t have the right to pump chemicals in me if I don’t want to - sauf si c’est de la Corona, et ça le fait hurler de rire. Ce n’est pas à un vieux Pistol qu’on apprend à faire des grimaces, pas vrai ? Et l’interviewer Pat Gilbert qui est malin comme un singe, justement, en profite pour lui rappeler qu’il crache sur l’autoritarisme institutionnel depuis 1976. Lydon exulte ! Ben oui, mon con joli ! «À cette époque tu avais d’autres headless chicken qui te crachaient dessus !». Mais là, Johnny ne rigole plus car cette manie qu’avaient les punks de cracher sur les groupes a dit-il généré pas mal de maladies assez crades et pouf, il confie d’une voix sourde que poor Joe Strummer s’est chopé une belle hépatite à cause des rafales de molards (the punk-spitting) et tout naturellement, la conversation dérive sur Sid. Gilbert demande comment Sid aurait géré le lockdown et Johnny s’enfonce dans le fatalisme, expliquant à ce pauvre Gilbert qui ne comprend rien que Sid de toute façon était trop con pour s’en sortir - He wasn’t bright enough to work things out - C’est dit à l’Anglaise, avec une élégance stupéfiante. Johnny ajoute que Sid était un sad character, élevé de traviole par sa mère qui était une registered heroin addict, une junkie référencée, comme l’était Ginger Baker, qu’il était aussi an awful arsehole and cynic to the highest degree et en même temps a sweet nature. Ça ne pouvait que mal finir, murmure Johnny d’une voix sourde, pour conclure le chapitre molard. Ce vieux singe de Gilbert entraîne ensuite le Pistol sur le sujet des addictions. Oui, il avoue dans son book à paraître une addiction au crystal meth dans les années 90 - It’s a really weird chemical that doesn’t do you any good - Il explique que le crystal meth te rend neurotic, mais c’est le but recherché, alors on continue de plus belle. Et il ajoute en guise de pied de nez fanfaronique : «Mon attitude envers les drogues a toujours été de dire, si tu en prends, prends-en plein ! (then overdo it). Voilà ce que j’appelle ma sagesse !», ah ah ah ah ah ah ! Aujourd’hui, il carbure intensivement à la Corona.

Gilbert revient aux Pistols en demandant au vieux Pistol s’il a lu le book de Steve Jones, Lonely Boy. No, lui dit Johnny, seulement vu un article de presse contenant un passage du book où il est question de Nora, et là c’est pas passé. Pourquoi ? Parce que Jonesy raconte n’importe quoi sur Nora. Donc pas question de lire ce book qui de toute façon s’est bien moins vendu que celui de Glen Matlock et là il explose de rire comme Topor, ah ah ah ah ah ah et du coup on se marre aussi, alors il continue de se foutre de la gueule de Steve et de son album Never Mind The Ballads (qui est en fait Fire And Gasoline), de sa coupe de cheveux et de ses postures de rock star dans le désert, images qui datent de l’époque où il s’était installé en Californie pour redémarrer sa carrière, mais Johnny nous rassure très vite en expliquant que Steve et lui ont l’habitude de se balancer des vacheries et nous dit Johnny, it’s very fucking refreshing. Et crac, Gilbert qui a lu le book a paraître traite Lydon d’anarcho-punk Samuel Beckett. En effet, Lydon traite l’actualité politique à sa façon, n’hésitant pas à qualifier le président américain Trump de Sex Pilstols of politics, même si dit-il c’est un sale mec. Justement, c’est l’énormité du truc qui le fait marrer. Il sait en parlant comme ça qu’il s’expose aux commentaires, mais il les balaye d’avance du revers de la main en affirmant qu’il n’a jamais supporté de consensus sociétal à la mormoille, le ventre-mou de la bien-pensance, et pire encore, la nouvelle langue de bois médiatique. Il a ses propres valeurs - I don’t believe in morals because they’re connected to religion - Il ne croit qu’en une seule chose : to get by, c’est-à-dire avancer, et aider autant de gens que possible en chemin. Quand Gilbert ramène la conversation sur PiL, Johnny devient radieux : il règne désormais une bonne ambiance dans le groupe. Tout le monde s’aime et tout le monde se respecte ce qui n’a jamais été le cas auparavant - Animosity was the only thing I had happening with me for years, because everything was so fucking difficult - Johnny ajoute qu’il continue d’apprendre et qu’il apprendra jusqu’à son dernier souffle - I’ll continue to do the best I can - Il va réussir à nous faire chialer, cet abruti. Puis commence la valse tant attendue des hommages, à commencer par Bowie, qui dit-il s’est esquivé sans cérémonie et ça l’épate, notre Pistol. Hommage aux Who qu’il vit à l’Oval en 1971 - One of the greatest gigs I’ve ever been to - Hommage au Physical Graffiti de Led Zep, enfin, précise-t-il, seulement une face, le reste non, et il met dans le même sac de ses all-time favorite albums le Fun House des Stooges. Par contre, il ne supportait pas les Ramones, because there was no content in it - Tout était basé sur l’image, ils jouaient un rôle et prétendaient être stupides alors qu’ils ne l’étaient pas du tout - Ce brillant petit panorama rottinien se termine avec un dernier regard sur les Pistols - Il n’y a jamais eu de camaraderie dans les Pistols. J’ai traîné en ville quelques fois avec Paul et j’aimais bien sa compagnie, c’est un decent fella mais c’était le pote de Steve et il ne m’a jamais aimé. Il me disait qu’on pouvait causer mais qu’il ne fallait pas que Steve l’apprenne. Voilà à quoi ressemblait notre groupe - Lorsque l’amertume atteint ce niveau de pureté, elle devient lumineuse.

Signé : Cazengler, Johnny Raté

Pat Gilbert : Did you no wrong. The John Lydon interview. Mojo #325 - December 2020

 

STEPPENWOLF ( I )

DANS LES PAS DU LOUP

 

C'est un de mes groupes préférés. J'annonce la couleur. Bien oublié aujourd'hui. Tout comme pour les moineaux l'on ne piège pas un loup en lui mettant du sel sur la queue. Aussi allons-nous nous approcher de la bête tout doucement, à pas de loup. Souvent nous prendrons des sentiers détournés qui sembleront nous éloigner de notre prédateur – pas d'entourloupe la proie c'est nous - mais qui de fait nous y ramènent. Nous commençons tout de suite par une de ces pistes de neige et de frimas, qui prennent racine dans la région des hauts-plateaux de la littérature allemande. Voire sur les cimes enneigées sur lesquelles il est dangereux de s'aventurer. Plus vous montez, davantage profondes sont les crevasses.

HERMANN HESSE

( 1877 – 1962 )

Un grand monsieur. Lauréat du prix Goethe, et du prix Nobel de littérature. Ce genre de médailles en chocolat officiel peut faire peur. Pourtant c'est bien cet écrivain que l'on retrouve aux sources de deux des courants musicaux les plus importants du rock'n'roll. Cela peut sembler étrange car très lointain, toutefois n'oublions pas que les dates de naissance des premiers bluesmen répertoriés dépassent rarement 1877. Les parallèles sont aussi faites pour se croiser un jour.

Il part de loin. Famille de pasteur, protestant certes, nous sommes en Allemagne, mais embringués dans un surgeon particulièrement prosélyte le mouvement piétiste proche des Frères moraves. Une influence certaine sur les consciences à la fin du dix-huitième et au début du dix-neuvième siècle. De grands aînés de Hermann Hesse côtoieront ce mouvement, Goethe, le créateur de Faust se laissera tenter dans sa jeunesse... Hesse est plus indocile, à quinze ans il fugue de son séminaire, il souffre de ce que l'on appelle aujourd'hui de troubles bipolaires. Les livres l'attirent il travaillera dans des librairies, ce qui lui permet de lire, les romantiques allemands en premier, notamment Goethe... Il publie ses premiers romans assis sur ses propres expériences existentielles, vit rapidement de sa plume, voyage en Orient... en 1917, il publie Demian ( = démon), un roman, toute référence au Faust de Goethe ne saurait relever du hasard, qui émet l'hypothèse que la connaissance peut s'obtenir par la voie de la main gauche, celle d'une vie dissolue. En 1922, paraît Siddhartha.

SIDDHARTHA

Traduit en 1951 aux Etats-Unis, Siddhartha eut une énorme influence auprès des jeunes américains. Il est un livre de chevet de la génération hippie. Ce jeune homme riche et comblé qui quitte sa famille et part sur les routes pour atteindre la connaissance fera bien des émules. Il ne sait pas trop ce qu'il recherche, un sens à sa vie et beaucoup plus que cela une harmonie avec le monde qui lui apporterait un sentiment de plénitude, l'absolu, l'éveil, l'illumination, vit nu dans la forêt auprès d'une rivière, se contente de peu, rencontre le Bouddha mais il refuse de le suivre, change de vie, connaît le sexe, la richesse, l'alcool, puis fatigué se retire en pleine nature pour une vie plus ascétique, car la plénitude culmine peut-être dans le vide...

Très court, d'une lecture facile, ce livre qui est davantage un vaste apologue qu'un roman est en même temps très séduisant et très subtil... Il s'inscrit pour toute une jeunesse estudiantine dans la mythologie nationale américaine comme une suite naturelle à l'œuvre de Henry David Thoreau qui prônait le retour à une vie simple, au milieu des bois, et dégagée des lois coercitives de la société. Siddhartha correspond à ce désir de repliement sur soi, de vie en petites communautés, autarciques, qui agite toute une fraction de la petite-bourgeoisie plutôt intellectuelle amerloque qui instinctivement refuse de s'engager dans une société de consommation à outrance...

Les contradictions de la société américaine s'exaspèrent, lutte des droits civiques, guerre du Vietnam, explosion de la sexualité, attrait des drogues, tout se mélange en un cocktail dangereux, est-ce avec des colliers de fleurs que l'on arrêtera la répression policière...

STEPPENWOLF

Bizarrement c'est le titre d'un autre roman, édité en 1927, de Hermann Hesse que prendra pour nom un des groupes fondateurs d'une musique beaucoup plus dure. Du folk l'on passe au heavy-metal. De la contestation critique qui se bat pour des idéaux l'on fonde une musique plus lourde, qui ne recherche peut-être pas l'affrontement direct avec le système mais qui entend faire comprendre qu'il ne faut pas trop venir lui marcher sur les pieds. A feuilleter le livre on ne s'y attend pas. Un intellectuel qui se regarde le nombril. Déteste ses congénères, se réfugie dans la solitude, ce n'est pas qu'il se croit un génie supérieur de l'humanité, mais selon l'adage il vaut mieux être seul que mal accompagné. C'est cet être-là qui se valorise en se donnant pour étiquette l'exemple des loups solitaires dans l'immensité des steppes inhospitalières. Mais ce n'est pas simple, cette société bourgeoise qu'il exècre le fascine, sa richesse, son confort, la notoriété qu'elle peut donner l'attirent, du coup il se méprise... Mal dans sa peau, mal dans sa vie, mais il rencontre Hermine qui lui apprend à aimer ce qu'il déteste, les cafés, le bruit, l'alcool, les discussions interminables, le jazz... Hermine ne se donnera pas à lui mais lui offre un petit jeu dont il faut réussir à assembler toutes les pièces... Roman sombre, illuminé d'éclairs violents, le lecteur est projeté à l'intérieur de la cocote-minute d'un cerveau humain sous pression... C'est à ce livre que John Kay empruntera le titre pour en baptiser son groupe.

JOHN KAY

Joachim Fritz Krauledat est né en en Allemagne le 12 avril 1944. N'a pas choisi la meilleure période de l'histoire de son pays pour venir au monde. Quelques mois plus tard dans les bras de sa mère par un hiver glacé il fuit l'avancée des troupes russes... Les voici en Allemagne de l'Est, en 1948 ils arrivent à passer en Allemagne de l'Ouest... En 1958 ils débarquent au Canada... Cet enfant balloté par les bouleversements de l'Histoire a trouvé sa boussole, la musique diffusée en Allemagne occupée par les radios des troupes alliées...

JIM MORRISON

Une histoire parallèle. Jim Morrison est né avec une cuillère beaucoup plus argentée dans la bouche que celle qu'a sucée le jeune Joaquim. Mais tous deux ont puisé aux mêmes sources intellectuelles. Morrison a été profondément marqué par la lecture de La naissance de la tragédie de Nietzsche. Le roman Narcisse et Goldmund de Hermann Hesse est un développement littéraire d'une des thèses de Nietzsche, celle qui établit une distinction caractérielle et catégorielle ( au sens aristotélicien de ce terme ) des individus, les Apolliniens et les Dionysiaques, les premiers qui domptent le monde en se fiant avant tout aux capacités analytiques de leur clairvoyance intellectuelle, les seconds qui pensent accéder à la connaissance en s'abandonnant à tous les vertiges possibles qu'offre l'attrait du monde. Intransigeance ou acceptation. Intelligence ou ivresse. Morisson choisira la voie dionysiaque, toutefois dans The Celebration of the lizard, vous avez un couplet des plus énigmatiques, Once I had a little game ( Hervé Muller en donne une analyse fort instructive dans son livre Jim Morrison au-delà des Doors ) qui n'est pas sans rappeler les dernières lignes du Loup des Steppes et l'œuvre la majeure de Hermann Hesse Le jeu des perles de verre, vaste méditation apollinienne sur la musique...

Sans doute est-il temps de retourner au rock'n'roll...

*

Pour le moment nous faisons l'impasse sur les Sparrows ( moineaux ) aventure qui mène John Kay de Toronto à la Californie où tout se passe... Dès 1967 Steppenwolf sort deux singles, qui seront repris sur le 33 tours qui sort en janvier 1968. Oui le groupe est d'origine canadienne, mais son impact a été si fort aux States, qu'il est considéré par de nombreux fans comme américain...

 

STEPPENWOLF

John Kay : chant, guitare, harmonica / Jerry Edmonton : batterie / Michael Mornach : guitare / Goldy McJohn : claviers / Rushton Moreve : basse.

Sookie Sookie : titre de Don Covay, face B de Mercy, Mercy sorti en 1966 : z'ont pas de cuivres les Steppenwolf, mais ils ont des guitares qui les remplacent facilement, Michael est vraiment un monarque du manche, tout de suite l'on comprend que l'on est dans un disque de rock'n'roll, les notes cristallines de Steve Cropper il vous les transforme en tout autant de mini-riffs tranchants comme le hachoir d'un boucher, tout est en place, dès ce premier titre l'on sent que l'on est entré dans un bon disque, si le chant de Kay est encore clair, l'orchestration devient de plus en plus compacte au fil du morceau. Everybody's next one : face B du single Born to be wild sorti en 1967 : un petit côté Beatles pour l'écriture, entre tranche de vie et critique sociale ironique, une espèce de petite chronique acide et quasi théâtrale, avec une orchestration qui enrobe la voix comme la couche de sucre dragéifie l'amande, un bijou que l'on expose en vitrine car on sait d'avance qu'il attirera les regards. Sonne très anglais. Berry rides again : il n'y a qu'un seul Berry, il s'appelle Chuck, un titre hommagial au great Chucky, tout y est, presque aussi bien qu'un original, écoutez-le soigneusement vous vous apercevrez qu'il est fignolé avec soin, attention certains licks de guitare rappellent en passant, mais sans insister, que l'on a aussi dans les oreilles le souvenir du Carol des Rolling Stones. Hoochie Coochie man : madnoiselle si vous ignorez ce que signifie hoochie coochie je suis votre homme pour vous y faire des guili-guili dessus, excusez ma salade salace, s'agit d'un vieux blues ( mais à qui Willie Dixon l'a-t-il repris ), la version de Muddy Waters avec Little Walter, est inoubliable. Attention le Loup s'attaque à une grosse bête, et tout change, pas difficile à l'écouter de comprendre comment le blues de Chicago a engendré le hard, John Kay abandonne sa voix en dentelle, vous y met cette graisse de locomotive asthmatique qui fait notre régal et derrière tout le monde pédale sec, vous repeignent le blues en plus sombre. Born to be wild : ( Le morceau est de Mars Bonfire ancien membre des Sparrows sous le nom de Dennis Edmonton, il est sorti sur le deuxième single du Loup en 1967 ) : avec les quatre titres précédents ils ont revisité le rock des pionniers, la pop anglaise, le rhythm & blues, et le vieux blues, se sont dépatouillés comme des chefs, z'apportent maintenant leur contribution à cette musique qu'ils aiment. Accouchent d'un classique, l'ampleur sonore prend ce balancement qui deviendra caractéristique de leur style, avec en plus cette envolée emphatique sur le refrain, qui sonne comme un mot d'ordre. Le titre a été magnifié par son inclusion dans la bande-son d'Easy Rider, il est devenu l'hymne des bikers, et encore plus que cela, vous avez deux mantras opératifs pour le rock'n'roll, Drugs, sex and rock'n'roll et Born to be wild, il est reconnu et repris par tous ceux qui optent pour un rock'n'roll dur et violent. Un drosera vénéneux et carnivore qui n'était pas prévu dans la gerbe agreste du mouvement hippie. Parfois c'est le fumier qui pousse sur les fleurs. Your wall's too high : Kay crache le blues, vous mollarde en pleine face tandis que Mornach vous cisaille la boîte crânienne de sa guitare suraigüe, c'est le moment de porter attention au clavier de Goldy McJohn et de penser à cette filiation organique entre Animals, Doors et Steppenwolf, le meilleur du rock s'inscrit dans cette généalogie, Jerry Edmonton ramasse le son, ne laisse rien échapper, sa batterie est la gardienne du troupeau, s'agit de réunir toutes les forces sans en oublier une, l'est méchamment secondé par la basse de Rushtom Moreve qui joue au chien berger, vous file des coups de dents sur les jarrets qui traînent sans défaillir. Desperation : dans le titre précédent, la leçon était claire, si tu veux quelque chose, donne-toi les moyens, bouge-toi mais avec celle-ci l'admonestation individuelle se change en critique politique, n'est-ce pas la société qu'il faudrait changer, un orgue funèbre pour entrer en matière, la suite n'est pas très gaie, une espèce de blues qui se traîne, presque pleurnichard entrecoupé d'éclats de voix, le morceau s'étire, le loup lèche ses plaies, Kay pose les questions aux réponses évidentes, le groupe est compact, la colère s'amasse silencieusement, l'on sait que le barrage va craquer, s'il le faut on arrivera à le renverser à plusieurs. The pusher : ( le morceau est de Hoyt Axton qui mena conjointement une carrière d'acteur – il est le père d'Alec dans les deux films tirés de la série L'étalon Noir de Walter Farley, et de chanteur et compositeur folk, beaucoup d'albums ( country, folk, blue grass ) à son actif, les amateurs de Gene Vincent remarqueront sa reprise de Pistol Packin' Mama ) : ce morceau que Hoyt Axton a pris quelque temps avant de l'enregistrer lui-même, le magma sonore du groupe le dope à mort, surtout que Kay ne met pas sa langue dans sa poche pour que personne ne puisse dire qu'il n'a pas compris. Ce titre fit l'objet d'une polémique, il appelle à tuer les pushers ( trafiquants de drogues dures ) mais à laisser en paix les dealers d'herbe, de quoi se faire attaquer sur sa droite et sur son extrême gauche. Un des temps forts du groupe, aussi puissant ( et peut-être plus ) que Born to be wild. Le loup est sûrement un animal nuisible. C'est pour cela que nous l'aimons. A girl I knew : pour son premier single sorti en 1967 le loup y était allé mollo, une ballade, c'est gentil, c'est joli, c'est bien fait, bien sûr il y a cette rythmique un peu trop rapide et cette guitare qui bourdonne un peu trop fort, mais tout se calme, presque un rythme de valse. Parfois il faut avancer avec un masque de loup feutré sur le visage pour avoir le droit de participer au bal du lycée. Take what you need : tiens une autre chanson d'amour, ce n'est pas vraiment cela, le texte se politise, l'air de rien une critique acerbe d'une société qui accumule les richesses mais qui ne les partage pas beaucoup, une espèce de binaire insidieux, qui fait semblant de s'arrêter pour reprendre, sur la fin la voix de Kay n'est pas sans évoquer celle de Morrison, les deux univers sont plus proches qu'il n'y paraît... mais Morrison regarde ses gouffres intérieurs, tandis que Kay est davantage tourné vers l'extérieur. The ostrich : l'autre face du premier single sorti en 1967, jungle-sound à la Bo Didley, c'est parti pour l'enfer. Pas celui du diable. Celui des hommes. Ce coup-ci Kay ne mâche pas ses mots, le texte semble avoir été écrit il y a dix minutes, l'autruche c'est moi et vous, qui partons bosser chaque matin et qui nous cachons la vérité, que nous sommes les esclaves formatés d'une organisation sociale qui ne respecte rien, ni les êtres vivants, ni la nature... Kay vous scotche les mots un par un à la Dylan pendant que les autres cavalent derrière lui, le morceau se termine en oscillant entre kermesse du bal des pompiers et aventurisme noise.

Ce disque est sorti depuis plus d'un demi siècle, il n'a pas pris une ride ( sur la carpette magique ). Totalement de son époque et tellement en avance. Steppenwolf est un groupe à réécouter, de toute urgence.

Damie Chad.

JANIS JOPLIN

MARIE DESJARDINS

LE MAG / PROFESSION SPECTACLE

 

Juste un article de quelques feuillets, oui mais c'est de Marie Desjardins. Une écrivaine, une autrice, une auteure, dites comme vous voulez, Marie Desjardins suffit. Qui réside au Canada. Les Kr'tntreaders commencent à connaître, elle a publié des romans de glace et de foudre et donné maints textes sur des musiciens de rock ( et autres ), une plume dentelée de neige et de feu qui se plante à la manière des flèches iroquoises dans votre mémoire et qui refuse d'en sortir.

A quoi bon parler de Janis. Le monde entier connaît son histoire. Une fille laide qui devint la diva du rock'n'roll. Pas une muse mystérieuse à la Nico nous précise Marie Desjardins, Non une diva dévastée d'elle-même. Une tornade, une force qui va, un aérolithe qui n'a pas eu la chance de s'écraser sur notre terre pour éradiquer la race héraldique des lézards géants. Non, un phénix incandescent, brûlé de ses propres flammes, qui s'est consumé tout seul, refusant de mêler ses cendres à notre misérable tourbe humaine, qui la rejeta, et puis la divinisa, pour ne pas avoir à subir sa présence coruscante.

L'on ne saura jamais ni comment, ni pourquoi, en son corps de petite fille blanche s'incarna une force primale échappée des noires nuits alligatoriennes du bayou. Morrison, un de ses amants d'ombre et de folie, fit à plusieurs reprises allusion à l'esprit de cet indien mort en un accident de la route qui s'était incarné en son enveloppe charnelle. Au contraire de Janis il était beau comme un Dieu grec ce qui ne l'empêcha pas de s'enliser, de s'enkyster dans l'alcool et la bouffissure de sa chair.

En peu de temps Janis accéda au statut de rock'n'roll star. Elle pouvait difficilement assumer un autre rôle, quand on ne peut être le reflet du miroir il ne vous reste plus qu'à devenir le miroir dans lequel les autres se regardent pour accéder au sentiment d'exister. Sa révolte était tapie à l'intérieur d'elle telle une lave de volcan, elle la recracha, en une éruption vocalique, vésuvienne. Un blues aux tentacules noirs de haine rentrée et rouges sanguinolents de désir turgescents sans limite. Janis la pieuvre aux cheveux de cette pourpre orangée qui reste la marque des Dieux, du Diable et des succubes.

Janis qui mettait des lunettes pour mettre une barrière entre elle et le monde vil. Pour protéger sa solitude qui corrodait son âme bien plus ardemment que tous les venins artificiels qu'elle s'inoculait, de toujours les vouivres ont aimé le poison. Marie Desjardins pose la question qui gêne. Si Janis la rouquine, Janis la renarde, ne cherchait pas la mort elle l'a, bel et bien, belle et bien, trouvée.

Imagine-t-on Janis, aujourd'hui, vieille, flétrie et oubliée, au fond d'un hospice, n'ayant même plus la force de souffler ses quatre-vingt bougies, ou alors une mémère sereine radotant un tant soit peu, et comble de la misère spirituelle, réconciliée avec elle-même. Peut-on penser, vu la dimension épique du personnage, que Janis ait déchu, qu'elle se soit reniée, et sans doute pire que tout, n'aurait-elle pas trahi ses fans, je ne parle pas des suiveurs qui courent après les hochets stupides de la célébrité, mais de ceux qui ont été brûlés, fendus en deux par la beauté de son chant tomahawk, ce torrent qui vous emportait vers l'autre pays, dont on ne revient jamais, même si l'on n'y a jamais mis les pieds.

Le texte de Marie Desjardins, se finit en méditation. Cherche-t-on le cobra du destin. Le subit-on passivement ou marchons-nous vers lui en toute connaissance de cause, afin de le saisir à la gorge, à moins que ce ne soit lui qui ne nous morde et ne fasse qu'une bouchée de nous. Et s'il en est ainsi, si c'est la case de ce dernier atermoiement que nous cochons, n'est-ce pas que nous l'avons voulu, et au lieu de parler de masochisme humain, ne vaudrait-il pas mieux employer la notion de sacrifice consenti. Absolument nécessaire. Simplement certains, à l'instar de Janis Joplin, exigent en eux-mêmes que leur vie soit un signe, une marque indélébile sur le chemin emprunté par la caravane humaine. Mais dans la vie comme dans la mort, tout se paie.

Damie Chad.

Profession Spectacle est un magazine culturel sur internet depuis 2015

 

IF I ONLY COUD BE SURE

SOUL TIME

 

Il y en a qui confinent et d'autres qui confirment. Soul Time se range dans la deuxième catégorie. La semaine ne s'était pas écoulée qu'ils tenaient leur promesse. Z'ont posté une deuxième vidéo sur You Tube. La première fois c'était Lonely For You baby et je peux dès maintenant révéler que celle qui drivait le chant de la reprise de Sam Dees c'était Carla Castro, mais ce coup-ci c'est au tour de Lucie Abdelmoula de mener le train sur ce morceau de Nolan Porter.

Etrange carrière que celle de Nolan Porter, deux albums, six singles, entre 1970 et 1972, et puis suite à la disparition de sa maison de disque l'homme se cantonne à animer les nightclubs de Los Angeles. Reconnu en Angleterre par Paul Weller qui reprendra If I only could be sure, et Joy Division, Nolan Porter est une espèce d'étoile filante de la northern soul, mais beaucoup se souviennent encore de la brillance de son passage. L'on retrouve des musiciens de Frank Zappa sur ses disques, cela peut paraître étonnant mais s'explique par le fait que Nolan Porter était marié avec la sœur du père des Mothers of Invention.

Joy Division, se sont contentés de reprendre les riffs de Keep on keeping on sur leur Interzone, mais la version de Paul Weller de If I only could be sure vaut le détour. Surtout en ses débuts, le chanteur des Jam vous a des intonations à tromper un éléphant, vous écoutez en blind-test et dans votre tête vous cherchez dans la liste des chanteurs noirs de soul américaine, avec sa voix plus noire que le charbon écossais il vous bluffe à mort, ben non c'est un petit blanc du Surrey qui vous fourvoie sur une fausse route. Le problème c'est qu'à partir de la deuxième moitié, vous commencez à vous ennuyer, l'allume le brasier mais ne le maintient pas.

C'est d'autant plus dommage que si à la suite vous écoutez la version de Nolan Porter, vous pensez avoir interverti les disques dans les pochettes, non pas du tout, c'est le timbre de Nolan qui sonne plus blanc que celui de Paul. C'en est presque choquant, c'est peut-être pour cela que Porter est reconnu pour être comme un trait d'union entre la soul et le rock'n'roll. Et c'est vrai qu'il trimballe bien le vocal, l'a une sacrée aisance le gars, chante pointu et rapide, vous emballe la minette en trois coups de langue, un solo d'orgue des chœurs masculins en sourdine, vous êtes sûrs que la gercette est en train de fondre à la vitesse d'une tablette de chocolat oubliée en plein soleil un jour de canicule !

Chez Soul Time, ils ont tout compris, de la douceur et de la rapidité, faut prendre l'auditeur à chaud, attention pas de la vulgaire et brutale brûlure au fer rouge, par surprise, agissent à la manière des malandrins à la foire du Trône, il y a en un qui vous pique le porte-feuille et neuf autres qui se le passent avec une époustouflante dextérité, quand trente secondes plus tard vous vous en apercevez, c'est trop tard, votre fortune est déjà déposée sur un compte en banque au Îles Caïmans. Vous ne pouvez même pas leur en vouloir, c'est exécuté de mains de maîtres. Démarrent avec quelques cordes de guitare qui jouent à l'élastique, celui avec lequel vous envoyiez des fléchettes en papier sur les filles en sixième, puis un coulis d'orgue, genre Mirage IV qui vole très haut dans le ciel, et la rythmique s'installe avec le naturel de Louis XIV s'asseyant sur son trône devant ses courtisans, et plic-ploc-plic, la voix de Lucie tombée de la lune rebondit sur la double table de ping-pong de vos deux tympans. Elle a tout pour elle la demoiselle, son chant glisse comme une anguille dans l'herbe près des lacs des hautes montagnes, ce n'est plus une voix c'est une apparition, et alors faute d'un nuage rose pour l'entourer d'un halo divin la fanfare des cuivres lui tissent un coussin doré pour qu'elle puisse poser ses petits bémols sur une sente de douceur, et c'est la fête totale, tout le monde y va de son petit trémolo, chacun pousse sa giclée de notes pour qu'elle se rappelle de lui, Thierry vous insinue un long glissandi sur patin à clavier glacé, à la batterie le batteur ne fonce pas à Torz et à travers sur ses caisses feutrées, tout le monde est au septième ciel, les portes de l'empyrée s'ouvrent, et c'est alors que le rêve s'achève, Lucie nous laisse tomber du haut des étoiles, elle arrête et c'est fini, plus rien. Le morceau s'achève sur un tranchant de guillotine et pendant que votre tête roule dans le panier de son du désespoir, vos lèvres s'entrouvrent une dernière fois et vous vous entendez crier en vain : Lucie ! Lucie !

Une réussite parfaite !

Damie Chad.

 

XI

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

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Nous approchions du Trocadéro. Le Chef donna l'ordre d'arrêter dans une petite rue discrète. Le briefing fut bref.

    • Lorsque nous serons arrivés, Alfred dans la cabine, l'agent Chad et Molossa discrétos autour du Dodge prêts à intervenir, Thérèse, Jean-Pierre, Molossito et le Westie pouilleux...

    • Il s'appelle Fanfreluche et...

    • Taisez-vous péronnelle, apprenez à agir sans discuter... donc les quatre sus-cités sur la benne, je serai-là, vous n'aurez qu'à obéir. Agent Chad, vous arrêterez le Dodge sous la tour Eiffel, si possible à l'intersection des diagonales des quatre piliers...

    • Donc pour atteindre le Pont d'Iéna, je descends l'avenue Delessert...

    • Agent Chad, pas de tergiversation, direct par les escaliers du Trocadéro ! Action, n'oubliez pas que la survie du rock'n'roll est en jeu !

44

Je me suis fait haïr lorsque j'ai lancé le bahut à fond de train sur l'esplanade du Trocadéro, les mots d'assassins, et les injures de toutes sortes m'accompagnèrent, mais le peuple est versatile, dès que j'eus tourné à angle droit pour enfiler les escaliers, et dévaler la pente raide, les exclamations fusèrent, tout le monde croyait assister à un exploit sportif sans précédent, je finis la deuxième rampe sous des hourras frénétiques, mais dès que je me suis payé le pont d'Iéna à plus de cent kilomètres-heure, ce fut le délire, des milliers de promeneurs me suivirent en courant, et lorsque j'arrêtais le Dodge à l'endroit exact exigé par le Chef, un public enthousiaste convergea de tous côtés vers le camion. A peine m'éjectais-je de la cabine deux flics en civil revolver au poing se précipitèrent vers moi. Ils me sauvèrent la vie, la foule en délire les écrasa sans même s'en apercevoir, au bout de quelques secondes il ne restait plus que deux grosses tâches rosâtres sur le macadam piétinées par des gens surexcités. De quelques coups de mâchoires dans des dizaines de mollets anonymes Molossa me fraya un passage dans la marée humaine. Je ne donnais pas cher de la survie de mes camarades.

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De la scène qui suivit je ne garde avant tout en mémoire que la capacité du Chef à maîtriser les situations les plus périlleuses. Il ne lui fallut que trois secondes pour s'emparer du micro qu'Alfred lui tendait par la lunette arrière, l'avait eu la prescience de se glisser dans la cabine par la vitre ouverte de la portière de droite, et déjà il lançait Great Balls of fire sur sa chaîne, le salaud, il avait planqué ses Jerry Lou pour que je ne risque pas de les rayer pas en les écoutant, et maintenant il en abreuvait le monde entier !

Lorsque le morceau fut fini, le Chef leva la main, et un silence absolu tomba sur la foule qui instantanément comprit qu'une communication importante imminente leur serait délivrée, et le Chef prit la parole : '' Chers amis, le SSR, le Service Secret du Rock'n'roll, vous a offert la première descente des escaliers du Trocadéro sur camion à roues métalliques, pour saluer cet exploit, tout le monde aura droit à un superbe cadeau, un véritable Coronadito, le cigarillo que fument les agents les plus renommés du SSR, le Service Secret du Rock'n'roll, pour une fois vous allez pouvoir goûter à ce délice suprême, ce nectar des Dieux, cette ambroisie des demoiselles, il y en aura pour tout le monde, vous pourrez en proposer à vos enfants, ainsi ils deviendront des hommes, et parmi eux les plus valeureux auront peut-être la chance d'être recrutés par le SSR, le Service Secret du Rock'n'Roll !''

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La scène qui suivit tient de l'épopée. Certes avec Molossa j'occis ( sans gêne ) dans les fourrés en douce quelques agents qui voulaient s'opposer à cette énorme réunion publique non déposée, ils se lassèrent vite, car alertés par leurs téléphones portables des parisiens se hâtaient pour nous rejoindre. A l'aide d'un pied de biche Jean-Pierre ouvrait les caisses de cigarillos que Thérese distribuait de son mieux. Molossito et Fanfrelucche les saisissaient délicatement un par un et les apportaient fièrement aux mains qui se tendaient. Le Chef qui galvanisait la foule au micro, et Alfred qui choisissait les plages les plus endiablées de Jerry Lou, ne pouvaient les aider. Mais Jean-Pierre avec ses quatre mains abattait à lui tout seul plus de boulot que quatre hommes, l'était partout de tous les côtés du plateau, les gens s'arrachaient ses présents qu'il présentait à la vitesse d'une mitraillette.

Les reporters-radio à moto arrivèrent les premiers, bientôt rejoints par les unités de télévision, nationales et très vite par les antennes internationales. L'acronyme SSR faisait le buz sur tous les réseaux, mais un gamin déclencha la bombe atomique du début du millénaire. Tout le monde l'avait vu, personne n'y avait fait gaffe, sa voix suraigüe de môme surexcité perça le brouhaha et squatta tous les micros ouverts de tous côté :

    • Regarde, Maman, le monsieur il a quatre mains !

Subito expresso les cameramen firent un gros plans sur Jean-Pierre qui devint célèbre en quatre secondes, les journalistes se l'arrachèrent pour des interviews improvisées, ce fut une cohue infernale, personne n'y comprenait rien, mais c'était le scoop de l'année, Jean-Pierre fut arraché du camion et porté en triomphe tout autour de la Tour Eiffel, un cortège se forma et l'emporta au loin, nous finîmes par distribuer les cigarillos et nous nous éclipsâmes discrètement...

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Le Chef alluma son premier Coronado du matin, je lui tendis Le Figaro, son compte-rendu était celui qui était le plus près de la réalité, nos lecteurs y trouveront peut-être un manque flagrant d'objectivité mais ils peuvent se rendre en bibliothèque publique pour lire ce numéro historique.

Une manchette énorme : SAUVE PAR LE SERVICE SECRET DU ROCK'N'ROLL !

Dessous une belle photo prise devant le perron de l'Elysée , Jean-Pierre entre le Président tout sourire et Thérèse radieuse, devant fièrement assis Fanfreluche, que l'on avait dû repeigner pour la cause. Je résume l'article qui couvre trois pages entières grand-format, notamment constitué par des interviews, celui de Jean-Pierre relatant sa terrible aventure, expliquant qu'ayant trouvé un numéro de téléphone dans une vieille veste de son père, il était tombé sur ancien copain de son père un certain Vincent Trajers ( sic ) qui lui avait révélé que le SSR le recherchait et l'avait poussé à les contacter, qu'il avait été accueilli très gentiment... Thérèse prenait la parole à son tour et expliquait que lorsqu'elle l'avait vu, elle était tombée amoureuse de lui '' ...quand j'ai pensé que de deux ses mains pouvaient chacune caresser un de mes seins tandis que les deux autres s'affaireraient plus bas, j'ai craqué... '' Puis c'était autour du Président, longuement et fortement acclamé par la foule – le journaliste remarquait que c'était la plus grosse ovation de son quinquennat – qui exprimait sa fierté de posséder un Service Secret du Rock'n'roll aussi formidable bla-bla-bla...

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Pour la petite histoire je rajouterai que Jean-Pierre, Thérèse et Fanfreluche devinrent le couple le plus aimé des français, toutes les semaines en couverture d'au moins un ou deux des titres les plus vendeurs de la presse people... De temps en temps Jean-Pierre nous passe un coup de fil pour nous remercier de son bonheur.

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Le Chef reposa le journal – nous avions réoccupé notre local - prit le temps d'allumer un nouveau Coronado :

    • Agent Chad, je vous le dis et le redis, tout cela est certes très sympathique, mais pour le moment nous ne sommes qu'à la périphérie de cette affaire. Des nuages noirs sont en train de s'accumuler sur nos têtes, croyez-moi ils ne tarderont pas à nous tomber dessus.

L'avenir n'allait pas tarder à concrétiser sa prophétie.

( A suivre... )

02/12/2020

KR'TNT ! 487 : SPENCER DAVIS / ALICE COOPER / JARS / SOUL TIME / KLONE / ROCKAMBOLESQUES IX

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 487

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

03 / 12 / 2020

 

SPENCER DAVIS / ALICE COOPER

JARS / SOUL TIME / KLONE

ROCKAMBOLESQUES 10

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Spencer dévisse

 

Mitch Ryder disait de Spencer Davis : My favorite Englishman. Mimi aurait pu citer Sean Connery, Michael Caine ou encore Ray Davies, mais non, il préfère Spencer Davis, héros d’une autre époque, celle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, quand le British Beat venait jusque sous nos fenêtres accrocher sa fuzz et ses éclats. Tout n’était alors que désordre et beauté, luxe, calme et volupté. Sauf au Vietnam, bien sûr.

Spencer Davis vient de casser sa vieille pipe en bois et comme le font tous les vétérans de toutes les guerres, il laisse à la postérité une belle tripotée d’EPs mythiques. Tout le monde se souvient du Spencer Davis Group. On osera même un parallèle avec les Stones qui furent eux aussi coupés en deux avec l’avant et l’après-Brian Jones : le Spencer Davis Group eut droit à l’avant et l’après-Stevie Winwood.

En 1962, Spencer Davis est prof d’école. Dans sa classe, il a les frères Winwood. Le petit s’appelle Stevie, il porte encore des culottes courtes, et son frère aîné qui s’appelle Muff a déjà un peu de moustache. Pendant la récré, Stevie va sous le préau pour chanter et jouer aux billes. Spencer Davis dresse l’oreille : «Cor, the kid can sing !». Pendant qu’il joue à dégommer les pyramides de quat’ avec Muff, Stevie chante les tubes de Ray Charles qu’on entend à la radio. Alors Spencer Davis va trouver les deux frères et leur balance, avec l’accent le plus confraternel qui soit : «Cor kids, wanna start an orchestra ?». Oh oui oh oui oh oui !, fait Stevie en sautant sur place. Muff ne dit rien, occupé à percer un gros pâté d’acné sous le menton. Et pouf c’est parti. Muff fait la basse, Spencer Davis gratte sa gratte, Peter York bat le beurre et Stevie fait tout le reste. Il sait tout faire, l’orgue, la guitare, le Ray Charles, les billes, le piano. Mine de rien le groupe du professeur Davis devient l’un des meilleurs groupes anglais, ce qu’on appelle là-bas a driving force. Le petit Winwood monte tous les soirs sur scène en culottes courtes et nique la concurrence. Ils commencent à palper pas mal de blé mais Stevie ne veut être payé qu’en billes et en tablettes de chocolat au lait. Quant à Muff, il veut une mobylette. Tout le monde se souvient de «Keep On Running» et son intro magique de big bad bassmatic, l’une des plus réussies de l’histoire du rock, l’intro de jerk par excellence, celle qui donnait aux jukes une vraie raison de vivre, hey hey hey. Paradis de la fuzz, battu à plates coutures, l’un des premiers hits punk, le pendant britannique de «Dirty Water». L’autre magic Fontana EP, c’est «Gimme Some Lovin’», l’EP à la cravate à carreaux verts. Stevie y enroule son believe I dust my blues - babeli babeli blues my mind - On se prosterne devant l’incroyable qualité de ce swing de blues. Avec celle de Fleetwood Mac, c’est dirons-nous la version définitive d’I woke up this morning/ Believe I dust my blues. Sur cet EP magique, on trouve aussi «Neighbour Neighbour» et son solo de sature saturnale.

Alors bien sûr, on peut aussi écouter les albums. C’est même recommandé pour la santé. Comment le dire autrement ? Très simple : pas de discothèque idéale sans les trois premiers albums du Spencer Davis Group. Personne n’aurait misé un seul kopeck sur la pochette de Their First LP, paru en 1965, mais le seul nom du groupe nous rendait tous dingues, comme nous rendaient dingues ceux des Who, des Kinks, des Troggs, des Pretties et des Stones. Raide diiiiiingues ! Ces Birminghamais tapaient comme tous les autres groupes anglais des reprises absolument phénoménales : «My Babe» des Righteous Brothers, «Dimples» de John Lee Hooker et surtout «It’s Gonna Work Out Fine» d’Ike Turner. Chaque fois que le petit Winwood attrape le micro, il casse littéralement la baraque, et en plus il sort son harmo de sa poche pour faire son Little Walter. Avec «Midnight Train», ils révèlent une incroyable facilité à swinguer le beat du freight. Mais il faut aussi écouter Spencer Davis prendre un authentic lazy guitar phrasing dans «Here Right Now», un heavy blues de très bonne augure. C’est aussi lui qui chante «Sittin’ And Thinkin’» avec un joli brin de dandysme.

Paru en 1966, The Second Album reprend la pochette de l’EP «Keep On Running» qui les a rendus célèbres. Il faut savoir que pour la photo, Spencer Davis a obligé le petit Winwood a porter un pantalon. Il ne voulait pas, mais quand le professeur Davis lui a dit que ses jambes nues allaient attirer l’œil des pervers, il a capitulé. On ne se lasse de réentendre «Keep On Running». On les voit aussi jazzer «Georgia On My Mind» et «Strong Love» qu’ils swinguent au mieux des possibilités, c’est-à-dire une pop de jazz à la Georgie Fame. Ils jouent aussi le heavy blues à la perfection, comme le montre «Hey Darling». Avec la voix du petit Winwood, c’est du gâteau au chocolat. C’est l’un des albums clés de cette période trop riche en albums clés. On se noyait alors dans les clés. Un océan de clés.

Autumn 66 paraît la même année que The Second Album. C’est là-dessus que le petit Winwood fracasse «When A Man Loves A Woman». Il n’a pas à rougir de son trying. Sa voix entreprenante lui permet d’entrer dans les zones jusque-là réservées aux noirs. Il tape un peu plus loin une fantastique reprise de «Nobody Knows When You’re Down And Out», un vieux hit de Bessie Smith repris par Spoon et Bobby Womack. C’est la Soul du désespoir. Le petit Winwood n’en fait qu’une seule bouchée. Gnarf ! Il s’y montre même digne de son idole Ray Charles. En B, on retrouve tous ces petits cuts qui rendaient les EPs magiques : «Somebody Help Me» (embarqué au big beat avec du gras double), «Dust My Blues» (superbe hommage à Elmore James, grasseyé avec délectation - babeli babeli blues my mind) et «Neighbour Neighbour» (tartiné aussi au gras double, certainement le plus beau gras double de Londres à l’époque). En gros, cet album est l’EP «Gimme Some Lovin’» amélioré.

Pour les nostalgiques du Spencer Davis Group, il existe une compile idéale, Eight Gigs A Week, qui permet d’entendre tout ce que le petit Winwood a enregistré avec le Spencer Davis Group, c’est-à-dire trois albums et cette fantastique brochette de singles. Comme le montre «Dimples», la fournaise n’avait aucun secret pour eux. On les voit même se jeter dans la chaudière, comme Angel Face. Ils font partie de ces groupes précoces qui étaient beaucoup trop doués. Le petit Winwood et le professeur Davis chantent «I Can’t Stand It» à deux voix. Le petit Winwood chante d’une voix de white nigger pré-pubère, perçante et tranchante. Leur «Sittin’ And Thinkin’» préfigure tout le British Blues. Ils font du Spector Sound avec «I’m Getting Better» et le petit Winwood explose toutes les possibilités du Dust My Blues avec «Goodbye Stevie». On retrouve bien sûr cette admirable cover de «Georgia On My Mind». Il n’y a que lui en Angleterre qui puisse rendre un tel hommage à Ray Charles. On trouve aussi une version d’«Oh Pretty Woman» plus heavy que celle de Mayall, tartinée au gras double de guitare. Dans «Look Away», on entend les chœurs des Edwin Hawkins Singers avec le petit Winwood comme cerise sur le gâteau. On retrouve avec plaisir l’immense «Keep On Running», fuzz et chant chaud, beat sec et I’m gonna be your man, l’apanage du garage hey hey hey, avec ses giclées de fuzz au coin du bois et le chant d’un kid allumé dans la chaleur de la nuit, everyone is laughing at me, le petit Winwood nous claque ça au mieux du mieux, I wanna be your man ! Et ça continue sur le disk 2. Si on ne possède pas les vinyles, autant rapatrier cette compile explosive, car tout y est. On se damnerait pour l’éternité, rien que pour posséder ce «Somebody Help Me» digne de «Keep On Running» : heavy beat, gros pâté de disto et chant hot on heels. Le petit Winwood shake bien le vieux «Watch Your Step» de Robert Parker. Il est encore plus spectaculaire dans «Nobody Knows When You’re Down And Out», un heavy blues de round midnite. Merci Stevie Charles. Il y a aussi pas mal d’épluchures, mais quand arrive «Dust My Blues», le Spencer Davis Group reprend tout son sens. On oublie toujours de citer ce groupe dans les histoires du British Blues, et c’est une grosse erreur, car «Stevie’s Blues» vaut tous les classiques du genre. Encore un fantastique shoot avec «I Can’t Get Enough Of It». Ils font aussi de la politique avec «Waltz For Lumumba». Et puis voilà «Gimme Some Lovin’», le hit absolu : belle fournaise, souvent imitée et jamais égalée. Il y a du Little Richard dans cette façon de blaster en profondeur. On dira la même chose d’«I’m A Man» chanté à l’exaction parégorique, e-ve-ry day ! Mais c’est au moment où le groupe culmine que le petit Winwood quitte le Spencer Davis Group.

Chris Welch nous explique que le professeur Davis est dévasté. Fin brutale de la machine à hits. Il perd la prunelle de ses yeux. Il lui faudra un certain temps pour surmonter ce traumatisme. C’est un type bien, Spencer Davis, nous dit Welch, «un chanteur plaisant et un guitariste extrêmement compétent. Ses points forts sont un enthousiasme immodéré pour tous les genres musicaux et un don particulier pour rassembler des musiciens et les motiver. Sa nature bienveillante fait de lui le band leader idéal. Tout le monde l’adore.» Bon, tout ça c’est bien gentil, mais il faut tout recommencer à zéro. Processus habituel : Spencer Davis passe une petite annonce et organise des auditions au Marquee studio. Un keyboardist du nom de Reginald Dwight se pointe, mais Spencer Davis n’en veut pas. Problème de look. Pas grave, Dwight se débrouillera tout seul et finira avec des trucs en plumes en se faisant appeler Elton John. Spencer Davis cherche quelque chose de plus solide. Pouf, il tombe sur Eddie Hardin que lui recommande le grand Paul Jones. Spencer Davis embauche aussi un guitariste assez doué, Phil Sawyer, qui va devoir rentrer dans les godasses du petit Winwood. Pas facile ! Heureusement, Phil a du métier, il a déjà travaillé avec Rod Stewart, les Fleurs de Lys et Berryl Marsden.

C’est donc cette équipe qui enregistre With Their New Faces On en 1968. Bien évidemment, c’est un nouveau son et les fans vont devoir s’y habituer. Eddie Hardin a ce qu’on appelle vulgairement de l’ambition compositale et quelque part dans une interview, il avoue sans méchanceté que Spencer Davis est vite dépassé. Hardin dit qu’il joue de la basse d’orgue, mais il se pourrait bien que ce soit l’ex-Taste Charlie McCracken qu’on entende, en tant que session man. Mine de rien, la basse rafle la mise sur «Moonshine» et «Don’t Want You No More». C’est inespéré de power ! Ça pulse au plus haut niveau. Quel drive ! Muff et sa mobylette peuvent aller se rhabiller. C’est le groove de basse dont on rêve toutes les nuits - Don’t want you no more ! - Ces mecs réussissent encore à sortir du son, la preuve avec «Morning Sun», c’est bardé à outrance, tendu à se rompre, solid body of work avec un Sawyer on the rocks et un son bien dévoré du foie par la basse. On les croyait finis, mais non, ils repartent de plus belle. Ils font aussi pas mal de pop orchestrale, sûrement l’influence d’Eddie Hardin. «Mr Second Class» et «Time Seller» sont des cuts typiques de l’époque, dans la veine des Beatles du bon Sergent Poivre. Eddie Hardin recasse la baraque avec «Alec In Transitland», un violent shuffle d’orgue doublé d’un bassmatic dévorant. On voit aussi Phil Sawyer renouer avec le Dust My Blues du Spencer Davis Group d’avant dans «Feel Your Way» et c’est sacrément bien balancé. Spencer Davis ne chante pas sur l’album. Il se contente de gratter sa gratte et de faire des backing vocals.

Le groupe tourne aux États-unis mais Eddie Hardin ne supporte pas les rigueurs de la vie en tournée, notamment les trajets interminables qu’ils sont obligés de faire en bus pas manque de moyens. De retour en Angleterre, il quitte le groupe pour monter Hardin & York avec Peter York. Traumatisé lui aussi par la tournée, Phil Sawyer se barre. Une fois de plus, Spencer Davis se retrouve le bec dans l’eau. Ray Fenwick entre dans le groupe pour remplacer Sawyer.

C’est là en 1969, qu’ils enregistrent Funky/ Letters From Edith, le lost album du Spencer Davis group. Suite à des problèmes contractuels, l’album est retiré des ventes : le groupe enregistre sur un nouveau label alors qu’ils sont déjà sous contrat. La version anglaise s’appelle Letters To Edith et bien sûr on peut l’écouter. Là dessus, c’est Ray Fenwick qui fait tout le boulot : chant, guitare, compos. Bon, disons que les compos de Ray Fenwick ne sont pas la panacée, mais le groupe continue d’avancer et c’est le principal. On sent chez Fenwick un goût pour le prog et certains cuts frisent un peu le ridicule. L’album se réveille brutalement avec «Funky», un bel instro d’anticipation joué à la vie à la mort. Mais après, le groupe débande et perd son identité. Le groupe s’enlise encore avec «Poor Misguided Woman», les voix ne sont pas bonnes, dommage, car le son grouille de bonnes dynamiques, mais ça ne vaut pas un week-end à Maubeuge, ni le petit Winwood. Les compos de Ray Fenwick ne marchent pas. Ils terminent avec un excellent «New Jersey Turnpike», un instro de folie pure qui les sauve des flammes de l’enfer. Mais bon, Spencer Davis en a marre de ramer et il décide d’arrêter le groupe. Terminus, tout le monde descend.

En 1973, Eddie Hardin va trouver Spencer Davis qui s’est installé en Californie. Il lui propose de remonter le groupe avec Peter York, Ray Fenwick et Charlie McCracken. Ils enregistrent Gluggo, un album qui comme les autres va passer à la trappe de Père Ubu. Hardin et Fenwick bouffent à tous les râteliers avec un certain panache : le glammy stomp à la Gary Glitter avec «Catch You At The Rebop», la pop aimable de type Sergent Poivre avec «Don’t You Let It Bring You Down», le «Living In The Back Street» qu’on va retrouver sur l’album suivant et qui semble monté sur le riff de «Gimme Some Loving», et le bel instro celtique avec «Today Gluggo Tomorrow The World». On se demande à quoi sert Spencer Davis dans tout ça. De prête-nom ? Certainement. «Feeling Rude» sonne comme l’un des derniers spasmes du Swinging London. Cet album sent la fin des haricots. Ils tentent un dernier coup de Jarnac avec «The Edge», où Ray Fenwick incendie la plaine. C’est un sérieux killer. On voit bien qu’ils tentent de recréer la vieille magie de la pop anglaise, mais le cœur n’y pas. Le Spencer Davis Group n’est pas un Group. Gluggo n’est en fait qu’un bel effort studio. Il faut être complètement taré pour aller écouter le Spencer Davis Group après le départ du petit Winwood. Ils finissent avec un beau boogie rock de Ray Fenwick qui s’appelle «Tumble Down Tenement Row». Fenwick s’amuse bien, pas de problème, il est comme un poisson dans l’eau, mais on perd définitivement la trace de l’identité du Group si cher au professeur Davis.

Ils enregistrent encore un album l’année suivante, l’excellent Living In A Back Street. C’est Eddie Hardin qui chante la cover de Fatsy, «One Night». Il s’y explose les ovaires. Roger Glover de Deep Purple produit l’album, d’où le big sound. Le morceau titre sonne comme un monster hit de British r’n’b. Doris Troy fait partie des back-up singers. C’est une véritable énormité. Ils tentent de recréer l’excellence de l’âge d’or. «Hanging Around» sonne comme un rumble de heavy rock. Bien joué les gars, ils sont dans le mood d’époque, ni trop peu ni pas assez, juste dans la moyenne. Leur «No Reason» ne ferait pas de mal à une mouche. Cette petite pop psyché correspond bien à l’époque et sonne comme une petite leçon d’élégance. Ils nous font le coup du vrooom-vrooom dans «Fastest Thing On Four Wheels», c’est excellent, bien tendu de la bretelle, il ne lésinent pas sur le shuffle d’orgue. Ils swinguent à coups de klaxon, c’est énorme et même assez révélatoire. Le morceau titre sonne comme un boogie en caoutchouc, on les voit même rebondir sur le beat. On va de surprise en surprise avec «Another Day», une belle petite pop aventureuse qui pourrait très bien figurer sur le White Album, tellement c’est léger et frais. Finalement, on se retrouve avec un album bien foutu, ce qui vient confirmer «Sure Needs A Helping Hand», un balladif élégiaque, signé comme quasiment tout le reste Hardin/Fenwick. On les respecte pour une telle abnégation. Ils sont très ramassés sur leur took out et flirtent avec les clameurs du gospel. Avec ses nappes d’orgue, Eddie Hardin jette pas mal d’élégance dans la balance.

Bon, cette fois, c’est fini. Spencer Davis arrête le groupe et entame une petite carrière solo. Oh rien d’exceptionnel, quatre albums en tout, échelonnés sur 30 ans. Le professeur Davis va raccrocher les gants du r’n’b pour se consacrer à l’Americana. En 1971, il enregistre avec Peter Jameson un album acou qui est sans doute le plus intéressant des quatre : It’s Been So Long. Belle pochette qui s’ouvre comme une enveloppe. «Crystal River» grouille de banjos et de vieux mineurs édentés, ils sortent un son enjoué et fouillé et c’est là, très précisément au bord de cette Crystal River qu’on tend l’oreille. L’«One Hundred Years Ago» qui suit est très impressionnant - Now you’re gone/ I sing my song - Ils restent tous les deux dans l’excellence musicologique pour «Balkan blues», une merveille de délicatesse. Ils jouent leurs espagnolades balkaniques à l’unisson du saucisson sec. Ça veut dire qu’ils grattent leurs poux à l’ongle sec comme des troubadours de l’ancien temps des magiciens. Dans le «Mountain Lick» qui se niche en B, ils racontent une histoire de gold digger. Ils finissent en beauté avec «Thinking Of Her» et l’extrême pureté du son et du filet de voix. Spencer Davis resplendit dans son univers d’arpèges florentins - I’m feelin’ fine/ Drinkin’ my wine/ Sittin’ here thinkin’ of her - C’est un très bel album. Tout y est soupesé et joué dans les règles d’un art léger.

Malgré sa très belle pochette signée Norman Seeff, Mousetrap déçoit un peu. Une ribambelle de cakes californiens accompagnent Spencer Davis : Sneaky Pete Kleinow, Larry Knechtel, Jim Keltner. Ceux qui lisent les dos de pochettes connaissent bien ces noms. Mais ça ne suffit pas à faire un big album. On a là du petit rock californien bien ficelé et même un peu d’Americana avec «Easy Rider». Spencer Davis y injecte le vieux deep blue sea & the women fishing after me. Comme tous les géants des sixties, Spencer Davis évolue vers un son plus ambitieux et sa musicalité transmute délicieusement. Son «Hollywood Joe» est très hollywoodien mais pas inintéressant. Ces mecs jouent dans la joie et la bonne humeur. L’Americana devient donc la grande obsession de Spencer Davis. C’est bien vu et bien chanté, donc pas de problème. Il termine avec une belle crise de country joyeuse, «Ella Speed». Inutile de dire que ça tient bien la route.

Dix ans plus tard, il refait surface avec Crossfire, un album très classique. Dommage qu’il ait l’air si con au dos de la pochette, déguisé en aviateur de la première guerre mondiale. Le hit de l’album s’appelle «Private Number», un duo avec Dusty Springfield, et là, on lève les bras au ciel en criant «Merci Dieu !», car c’est une merveille. Dusty chérie s’y révèle stupéfiante de présence. Pour le reste, Spencer Davis oscille entre le heavy boogie («Blood Red Hot», «Love Is On A Roll») et les resucées («I’m A Man»). Ça marche à tous les coups, même si la resucée sonne un peu electro. Disons que ça manque de Winwood. Son «No Other Baby» est bardé de clairette de country californienne et ça sent bon la bonne humeur. Sa petite pop reste bien construite, bien élevée, enjouée et sans complexe.

On ne se relève pas la nuit pour écouter So Far, son ultime album solo paru en 2006. Il y a un joli son, ça reste de la pop-rock bien produite, mais on passe un peu à travers. «The Viper» se veut powerful mais pas déterminant. Le producteur Edward Tree américanise le plus anglais des rockers de banlieue. Spencer Davis raconte ses souvenirs d’enfance à Swansea, au Pays de Galles, dans «The Mumbles Train» et «Uncle Herman’s Mandolin». Il fait aussi un «The Swansea Shuffle», histoire d’enfoncer le clou de sa nostalgie. C’est sa façon de créer du vieil enchantement à la Ray Davies. Il revient à son Americana chérie avec «I Can’t Stand Still», un piano-boogie de barrellhouse digne du New Orleans ou du Kansas City des roaring twenties. Retour à l’Americana de bon aloi avec «The Golden Eagle», et voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire. Mais l’impression globale est très positive. Spencer Davis n’a jamais pris les gens pour des cons.

Signé : Cazengler, Spencer du vide

Spencer Davis. Disparu le 19 octobre 2020

Spencer Davis Group. Their First LP. Fontana 1965

Spencer Davis Group. The Second Album. Fontana 1966

Spencer Davis Group. Autumn 66. Fontana 1966

Spencer Davis Group. Eight Gigs A Week. Island Records 1996

Spencer Davis Group. With Their New Faces On. United Artists Records 1967

Spencer Davis Group. Gluggo. Vertigo 1973

Spencer Davis Group. Living In A Back Street. Vertigo 1974

Spencer Davis Group. Funky/ Letters From Edith. CBS 1969

Spencer Davis & Peter Jameson. It’s Been So Long. Mediarts 1971

Spencer Davis. Mousetrap. United Artists Records 1972

Spencer Davis. Crossfire. Allegiance 1984

Spencer Davis. So Far. Harbor Grove 2006

 

 

 

Alice au pays des merveilles

 

Vraiment dommage. On sort un peu dépité du book de Dennis Dunaway, bassiste d’Alice Cooper dans les années 70. Avec un titre aussi racoleur que Snakes Guillotines Electric Chairs - My Adventures In The Alice Cooper Group, on s’attendait à autre chose. On va même jusqu’à se poser la question : histoire mal racontée ou non-histoire ?

S’il est un groupe américain qui avait tout misé sur l’extravagance, c’était bien Alice Cooper, c’est-à-dire le groupe composé de Dunaway, Neal Smith, Glen Buxton, Michael Bruce et Vince Furnier. Leur petite mythologie reposait sur deux mamelles : un premier article dans le Melody Maker montrant un mec nommé Alice vêtu d’un fourreau de lycra noir moulant et brandissant un fouet, puis un tout petit peu plus tard un concert à l’Olympia. Nous étions deux camarades de lycée installés au balcon juste à côté d’un mec de la télé qui filmait le concert et qui devait être Freddy Hauser. Indépendamment de tout le grand guignol, ce groupe américain nous faisait bien rêver. On flashait plus sur le batteur Neal Smith que sur le chanteur et sa chaise électrique. Ils incarnaient tous les cinq le groupe de rock américain parfait. Beaucoup de son et beaucoup d’allure. Il devait s’agir de la tournée de promo de Killer puisqu’ils jouèrent ce soir-là «Under My Wheels» qui fut t’en souvient-il l’un des grands hits de l’an de grâce 1972.

Revenons au book. Ce phénomène d’histoire mal racontée n’est pas nouveau. On a souvent croisé des autobios que caractérisait une certaine platitude, au sens où le texte reste lisse et rien ne passe, ni info, ni émotion. Ce qui peut sembler logique, vu que l’exercice autobiographique reste l’apanage des écrivains. En matière de rock culture, nous en avons toutefois quelques-uns : Bob Dylan, Richard Hell, Mark Lanegan, Ray Davies et Mick Farren sont les premiers noms qui viennent à l’esprit. Le reproche qu’on pourrait adresser à Dunaway est de n’avoir pas su raconter cette histoire qui fut, comme on l’imagine, une histoire autrement plus extravagante que ce qu’il en dit. Mais en même temps, il y a une explication : l’absence de prétention. Ces cinq petits mecs originaires de Phoenix, Arizona, n’avaient d’autre ambition que celle de jouer du rock, à une époque où le rock était un devenu un choix de vie pour toute une génération. Jouer du rock en soi est déjà un gros boulot et devenir célèbre l’est encore plus. Seuls des artistes exceptionnels sauront passer au stade suivant qui est celui du mémorialiste. Dunaway se contente de rester au stade d’honnête bassman compagnon de route d’une belle aventure, et comme on va le voir, victime comme tant d’autres des manigances d’un business puant. On l’aime bien Dunaway, avec cet air mystérieux que lui donne son regard absent. On ne lui en veut pas trop finalement, même s’il nous prive d’une histoire qu’on veut continuer de croire gratinée, à moins que nous ne l’ayons trop fantasmée. C’est toujours le même problème avec la rock culture : il y a d’un côté la réalité et de l’autre ce qu’on fait nous autres les fans de cette réalité. On dit aussi qu’il vaut mieux éviter de rencontrer les gens qu’on admire. Pourquoi ? Pour éviter d’être déçu.

Dunaway nous ramène dans les early sixties en Arizona, au temps où Vince Furnier - c’est-à-dire Alice - et lui sont copains d’école. Dans la section photo qui se trouve comme dans la plupart des books située au milieu, vous verrez deux photomatons des copains d’école. Puis Dunaway, Buxton, Vince et deux autres mecs montent les Spiders et commencent à bâtir leur petite réputation locale. Ils font du garage et reprennent les classiques des Standells et des Count Five. Ils engagent Michael Bruce et Neal Smith, et décident de tenter leur chance à Los Angeles. Ils n’ont pas un rond et vivent un temps dans l’ancienne baraque des Chamber Brothers, sur Crenshaw Boulevard, dans le quartier noir de South Central, avant d’aller s’installer à Topanga Canyon. Ils s’appellent encore the Nazz, mais ils doivent changer de nom à cause du Nazz de Todd Rundgren qui vient de sortir un album. Ils cherchent des noms et Vince Furnier propose Alice Cooper. What ? Vince insiste : Alice Cooper. Il voit ça comme un nom de groupe. Une fois que Dunaway en accepte le principe, il se met à phosphorer avec son copain d’école : créons un personnage ! Il va d’ailleurs citer des tas d’exemples, comme celui du maquillage qui est une idée à lui, ou encore les accords d’«Under My Wheels» qui sortent aussi tout droit de son imagination délirante. En fait, ce qui motive Dunaway, ce n’est pas de se mettre en valeur, mais plutôt le côté sacré du collectif, ce qu’on appelle un groupe de rock. Sans Dunaway et les trois autres, Alice Cooper n’est rien. Mais le destin se montrera cruel puisqu’Alice finira par se débarrasser de ses compagnons de route, tout en conservant le nom d’Alice Cooper, qui était le nom du groupe.

L’épisode Topanga est capital car Dunaway et ses copains fréquentent la crème de la crème du gratin dauphinois dans les parties : les Doors, David Crosby et Arthur Lee. Hélas, Dunaway ne tire rien d’intéressant de ces rencontres. Il décrit sans décrire. Puis c’est la rencontre avec les GTOs, the Girls Together Outrageously, the queens of the Sunset Strip, qui logent dans le sous-sol de la maison de Frank Zappa, à Laurel Canyon, the log cabin, qui est l’ancienne maison de Tom Mix. Alice se tape Miss Christine et en bon opportuniste, il finit par lui demander : «Can you get Zappa to give us a record deal ?». Zappa accepte d’enregistrer le groupe et sortira Pretties For You sur son label Straight en 1969. En fait Zappa trouve le groupe intéressant, car capable d’accepter les concepts abstraits, comme par exemple enregistrer sur des bandes mal effacées, avec des «bruits» antérieurs qui remontent à la surface du son. Autre concept abstrait : ils choisissent pour la pochette a highly risqué painting d’Edward Beardsley qui est accroché au mur, chez Zappa. Dunaway considère qu’avec cet album Alice Cooper invente le glitter rock, même si, ajoute-t-il, d’autres artistes vont par la suite en revendiquer la paternité. Au plan musical, l’album est un peu dur à avaler. Ils attaquent avec une série de morceaux qu’on qualifiera charitablement de déconcertants. Leurs tentatives compositales se révèlent assez pathétiques, comme si elles étaient épuisées d’avance. On entend des coups de flûte et des tentatives de jazz-rock dans «Sing Low Sweet Cherio». Forcément le comedy act de «Today Mueller» devait bien plaire à Zappa, le grand spécialiste de la tarte à la crème. Il faut attendre «Living» pour entendre enfin un big push de trash guitars. On s’aperçoit que ces mecs sont déjà très au point. En B, ce vieil Alice se croit autorisé à casser la baraque de «Levity Ball», mais il n’y a pas de baraque. Trop ambitieux. Zappa essaye en vain de les faire revenir sur terre. C’est avec «Reflected» qu’ils sauvent les meuble de ce premier album, un joli shoot de power pop claqué du beignet par un solo trash de Bux, bizarrement produit, comme visité dans les profondeurs. Ces mecs avaient un sacré répondant car ce «Reflected» dégouline de trash de wah.

Grâce aux hasards de la programmation, Alice Cooper se retrouve sur scène au fameux Toronto Rock’n’Roll Revival en 1969, un festival qui propose l’une des affiches les plus appétissantes de l’époque : John Lennon & the Plastic Ono Band, Chuck Berry, Bo Diddley, Little Richard et Gene Vincent. C’est là que se produit l’incident du poulet dépecé vivant par la foule, un acte de sauvagerie qui fut attribué par erreur à Alice Cooper. Après leur set et au milieu des plumes qui volent, ils doivent rester sur scène pour accompagner Gene Vincent. Dunaway décrit d’autres épisodes de folie comme ce concert à Toledo où un mec balance un marteau dans la jambe de Bux. L’incident du poulet va d’ailleurs déclencher une avalanche de rumeurs toutes plus nulles les unes que les autres. On affirme qu’un jour, Alice Cooper et Zappa se seraient livrés sur scène à un concours de pets, qu’ensuite Zappa aurait coulé un bronze devant tout le monde et qu’Alice aurait ramassé l’étron pour le déguster. On ne peut que s’effarer de la qualité de l’imaginaire des rumouristes américains.

1969 est aussi l’année de tous les dangers, puisque les Stooges sont en tournée. Dunaway ne cache pas son admiration pour Iggy. En allant s’installer à Detroit, Alice Cooper crée la confusion. On a longtemps cru qu’ils étaient un groupe de la fameuse scène de Detroit. Pas du tout. Ils n’ont fait qu’y séjourner, car c’est là que se jouait à l’époque le destin d’un certain rock. Leur manager Leo Fenn les installa dans une ferme à Pontiac, un bled situé à quarante bornes au nord de Detroit. Ils baptisèrent l’endroit the Freak farm. Cette ferme isolée présentait le gros avantage de disposer d’une grange où le groupe pouvait répéter sans que ça ne gêne les voisins.

Leur deuxième album s’appelle Easy Action et paraît en 1970. Ils sont de dos sur la pochette, histoire de montrer qu’ils ont les plus belles crinières d’Amérique. On commence à peine à se familiariser avec la voix ingrate de Vince Furnier. C’est l’album de tous les râteliers. Ils nous font le coup de la good time music avec «Shoe Salesman», le coup du rock de cabaret avec «Mr And Mrs Misdemeanour» et le coup du psyché de bas étage avec «Still No Air». Sans doute leur façon de nous dire : «Bon les gars vous en avez pour votre argent.» Ils repartent en mode psyché sans queue ni tête (comme le poulet) avec «Below Your Means» et soudain, Bux et Bruce se partagent la part du lion, avec des échanges extrêmement fructueux de guitar licks. C’est en effet la grande époque des échanges fructueux. Bux et Bruce se couronnent rois de l’échange fructueux. Ils exultent ! Ils paramorent ! Ils dégueulent de génie, ce que va confirmer «Return Of The Spiders (For Gene Vincent)», cut hyper-tendu, wild as fuck et solid as hell. Bux et Bruce jouent à jets continus, les attacks se croisent dans l’effervescence d’une belle apothéose. Pas de plus bel hommage à Gene Vincent ! Neal Smith et Dunaway fournissent la tension, Smith bat ça tout droit comme le mec des Amboys Dukes dans «Baby Please Don’t Go». Après ça, il n’aura plus rien à prouver. Dommage que tout l’album ne reste pas perché à ce niveau d’excellence. C’est d’autant plus dommage que s’ensuivent des cuts d’une rare stupidité. Il faut attendre la fin, c’est-à-dire «Lay Down And Die Goodbye» pour retrouver le heavy psyché des tranchées de la Somme, avec la gadoue de fuzz et les obus de mortier. Bux et Bruce grattent leur heavy gaga et ça prend vite des tournures conséquentes. Comme c’est un cut long, attention aux embûches. Ces mecs sentent qu’ils deviennent des pros et ils deviendront même des légendes, alors ça les galvanise. Il faut donc leur faire confiance. Mais chacun sait que la confiance n’a qu’un œil. Ils basculent dans l’expérimental. Tant pis pour eux. Ils se tirent une branche dans le pied en voulant faire du bruitisme à la Zappa, exactement le genre de truc qu’on fuit comme la peste. Les collages sonores n’intéressent que les colleurs.

C’est en 1970 qu’ils rencontrent Bob Ezrin qui va devenir leur producteur et donc l’artisan de leur succès commercial. Et c’est là où les ennuis commencent. Malgré sa pochette fantastique, Love It To Death est un album catastrophique, car privé de relief. Dommage car ça s’ouvre sur la belle pop de «Caught In A Dream», Bux et Bruce grattent bien leurs poux, sur un beat assez sloppy, pour ne pas dire erratique. Comme le dit si bien Dunaway, ils se prennent au jeu. C’est avec «I’m Eighteen» que le personnage pas très sympa d’Alice Cooper commence à dévoiler son jeu. Désolé monsieur l’opportuniste, ce n’est pas bon. Si on écoute le «Black Juju» de 9 minutes, c’est uniquement par curiosité. Il faut s’attendre au pire, et c’est bien le pire, car joué à l’orgue. Il faut s’armer de patience pour écouter cette daube. Ces imbéciles croient faire du voodoo, mais en fait ils coulent leur album. «Black Juju» est l’archétype du cut complaisant et insuffisant. On essaye de se remonter le moral avec l’«Is It My Body» qui sonne un peu gaga, mais c’est très spécial. Bux et Bruce tentent de sauver les meubles, ça se sent. Ils continuent de s’enliser avec «Hallowed Be My Name», un cut affreusement mal chanté. La voix est mauvaise, renfrognée, à l’image de son mental calculateur. Dommage car il a derrière lui de bons musiciens. Le reste des cuts est du même ton, rédhibitoire, une sorte de prog aquatique, atroce, avec des palmes. Disgusting.

En 1971, Dunaway et ses copains s’installent dans un domaine légendaire, le Galosi Estate, Connecticut, pas très loin de New York. Dunaway en profite pour faire le point : «On avait une maison, une salle de répète, un bon équipement, un contrat avec un label, deux grands producteurs, et notre ration de good-looking girls. Killer was going to be one hell of an album.»

Ils se pourrait bien que Killer soit non seulement le meilleur album de l’Alice Cooper gang, mais aussi son seul bon album, ne serait-ce que par la présence d’«Under My Wheels». Avec ce hit, Dunaway et ses copains grimpent au sommet de l’US rock, c’est merveilleusement chanté et roulé au got you under les aisselles. S’ensuit un «Be My Lover» qui plaît bien parce qu’un brin glam. Ce groupe jouait alors son va-tout, avec une vraie voix, une belle basse, un sérieux drumbeat et deux belles guitares qui ne la ramènent pas trop. Et puis l’affaire se corse avec «Halos & Flies». C’est là que commence à se creuser le déficit composital qui va entraîner la chute de la maison Usher Cooper. On y dénote une détestable absence d’inspiration qui les fait redescendre en deuxième division. Ce n’est pas bon du tout, mais alors pas bon du tout. Berk. On perd l’éclat d’«Under My Wheels». Ils retrouvent un peu de répondant en B avec «You Drive Me Nervous» et la carence compositale attaque la fin de l’album qui est catastrophique. Ces mecs sont incapables de tenir la distance d’un album. Ils terminent avec le morceau titre, plus ambitieux et certainement le plus intéressant après Wheels.

Contre toute attente, Killer fait un carton. En route pour la gloire ! Le tiroir caisse s’emballe et les tournées se multiplient. Le groupe tourne trop. Dunaway en halète encore : «Le premier stade du burn-out, c’est de se réveiller et de ne plus savoir dans quelle ville on est. Le deuxième stade, c’est d’avoir à demander à quelqu’un d’autre le nom de la ville où on se trouve. Le troisième stade, c’est de s’en foutre.» Ça fait des années qu’ils tournent, mais avec le succès de Killer, la pression augmente considérablement. Bien sûr, les drogues entrent dans la danse et Bux passe à l’hero. Here we go !

Nouvel album suicide avec School’s Out paru l’année suivante. Curieusement, l’album se vend bien. C’est dire si le monde d’alors pouvait être inquiétant. Ne parlons pas du monde d’aujourd’hui. Personne n’ose plus sortir dans la rue. On met ça sur le compte de la peste noire, mais non, c’est le monde extérieur qui fout la trouille. School’s Out sonne comme un non-album, même s’ils rendent hommage au vieux West Side Story de Leonard Bernstein. C’est Dunaway qui joue le passage de miaou à la basse. Cet album est un cas intéressant : un succès commercial qui est en même temps un échec artistique. You’re so very cool ! Tu parles Charles Cooper ! Avec ce «Blue Turk», ils tentent une drôle d’aventure dans la dentelle. Le «My Stars» qui ouvre le bal des maudits de la B est trop baroque. Ça ne peut plaire qu’aux fans d’Alice Cooper solo. C’est un monde à part, un peu pénible. Heureusement, Bux vient l’éclairer d’un beau solo. Mais le cut n’a aucun intérêt. On s’ennuyait comme un rat mort à l’époque. Pour se distraire, on ouvrait le pupitre en carton et on tripotait la culotte en papier avec laquelle ces imbéciles de Warner avaient packagé le vinyle. Tout sonnait faux dans cet album, sauf «Public Animal #9» qui gagatait bien, pulsé aux hey hey hey, un cut qui méritait une médaille car il sauvait l’album.

En fait, ces albums étaient frustrants, car on avait trop fantasmé sur ce groupe. Chaque nouvel album sonnait le glas de la déception. Bux, Bruce et Neal Smith étaient un peu des héros, mais ils s’engluaient dans un truc qui ne leur correspondait pas.

Nouvelle tentative de réconciliation en 1973 avec Muscle Of Love et sa non-pochette. Et aussi ses non-cuts. Dès «Big Apple Dream» on savait à quoi s’en tenir : insupportable de médiocrité. La petite pop-rock de «Never Been Sold Before» manquait tragiquement d’inspiration. Bux pouvait y passer un solo, ça ne changeait pas grand chose. Ils ramenaient du dixieland dans «Crazy Little Child» et poursuivaient avec un «Working Up A Sweat» tellement cousu de fil blanc qu’ils devaient bien se douter que ça ne pouvait pas marcher. Ces pauvres gamins de Phoenix continuaient de dégringoler avec leur morceau titre. Mais au fond, on se demande vraiment pourquoi Alice Cooper va se séparer de Bux et Bruce. Peut-être leur fait-il porter la responsabilité du manque d’inspiration ? On a pourtant le sentiment qu’il ruine tous les cuts dès qu’il ouvre le bec. Le problème c’est que ça crève les yeux. Le seul cut que l’album qui passe bien est ce balladif pop-rock intitulé «Teenage Lament 74» qui tourne à la wild ride. Bux tente ici et là quelques glissades vénéneuses, mais on sent le groupe en fin de course. Il ne se passe rien dans «Woman Machine». Strictement rien.

Dernier spasme du groupe avec Billion Dollar Babies paru la même année. «Hello Hooray» est devenu une sorte de hit, mais on se demande bien pourquoi, car il ne s’y passe rien. «Raped & Frazin’» n’a rien dans la culotte. On a de la peine pour eux. Alors évidemment Alice Cooper solo rafle la mise avec «Elected» et sa façon de chanter crapuleuse. On entendait ça dans tous les jukes à l’époque et c’était insupportable. Difficile d’entrer dans l’univers de cet album. Ils font encore semblant d’être un groupe, mais ça manigance par derrière. Les choix sont faits : le chanteur oui, mais pas les autres. C’est comme ça que le Colonel a viré Bill Black et Scotty Moore, pour miser sur un seul canasson, Elvis. Les mecs de Warner misent sur leur canasson, Alice Cooper solo, et les autres, basta ! C’est curieux comme les cuts sont mauvais sur cet album honteusement surévalué. À l’époque, on s’entichait encore de «No More Mister Nice Guy», mais bon, ça ne vole pas haut. Écoutez plutôt celui d’Halfnelson. On reste sur cette impression que le chanteur gâte un groupe qui est excellent. Comme si Vince Furnier coulait Alice Cooper en faisant du Alice Cooper solo. «Sick Things» est la torpille fatale qui coule définitivement l’album. On voit rarement des projets tourner aussi mal. Bux, Bruce, Neal Smith et Dunaway ne parviennent plus à rallumer la flamme d’«Under My Wheels». C’est encore Bux qui fait tout le boulot sur cet «I Love The Dead» si mal chanté. Bux et les autres jouent leur dernière carte, celle d’un va-tout de la dernière chance, mais ils ne savent pas encore qu’ils sont condamnés.

La fin de l’histoire du groupe est assez glauque. Dunaway, Neal Smith, Glen Buxton et Michael Bruce sont virés sans être virés, on ne leur dit rien, c’est à eux d’en tirer les conclusions. Pour des raisons bassement matérielles, le management mise sur Alice Cooper solo : une part au lieu de cinq. Alors, chacun fait des albums solo dans son coin. Alice Cooper démarre avec Welcome In My Nightmare, produit par Ezrin, avec Dick Wagner et Steve Hunter aux guitares. Quand Welcome arrive à l’affiche du Madison Square Garden, Dunaway se voit interdire l’accès au backstage. Les vigiles ouvrent une porte sur le côté et chassent le pauvre Dunaway comme un malpropre. Dégage ! La presse n’a d’yeux que pour Alice Cooper solo. Le pire, dit Dunaway, c’est qu’on ne leur dit absolument rien : «À cette époque, la boîte aux lettres me terrorisait. Il n’y avait aucune communication avec le management. On ne nous a jamais informé officiellement qu’on était virés du groupe. Je croyais encore à un miracle.» Il poursuit : «Après dix longues années, il devint clair qu’Alice Cooper n’était plus notre groupe. Tout ce qu’on avait créé nous avait filé entre les doigts. C’était une période extrêmement sombre. Comme si on avait chassé ma vie sous le tapis. Un jour j’étais une rock star et le lendemain, j’étais indésirable. Boom. Dégage.» La pauvre Dunaway dit aussi que des groupes comme Kiss, les Dolls, Mötley Crue, Twisted Sister se sont inspirés de ce qu’il appelle our harlot culture. Il a raison de le préciser. On l’aime bien le petit Dunaway, avec son regard absent et ses rêves de kid arizonien. Même si son livre laisse un goût amer, on le préfère cent fois au m’as-tu vu parvenu qui n’a eu aucun scrupule à se débarrasser de ses copains d’école.

Signé : Cazengler, Alice coupaire

Alice Cooper. Pretties For You. Straight 1969

Alice Cooper. Easy Action. Straight 1970

Alice Cooper. Love It To Death. Straight 1971

Alice Cooper. Killer. Warner Bros. Records 1971

Alice Cooper. School’s Out. Warner Bros. Records 1972

Alice Cooper. Muscle Of Love. Warner Bros. Records 1973

Alice Cooper. Billion Dollar Babies. Warner Bros. Records 1973

Dennis Dunaway. Snakes Guillotines Electric Chairs. My Adventures In The Alice Cooper Group. St. Martin’s Press 2015

 

*

C'est terrible je crois que j'ai attrapé une jarsiste aigüe, dans mon malheur une seule consolation, pour une fois le gouvernement n'a pas pris les mesures appropriées, je peux donc contaminer la population de la terre entière sans me sentir coupable de quoi que ce soit. Donc aucune retenue, gros plan sur le premier album de Jars, j'avais fait l'impasse dessus, sur ce coup-là, je reconnais mon erreur, j'espère que l'on ne me condamnera pas pour rétention d'information de première importance. Oreilles sensibles abstenez vous.

JARS

( 2011 )

 

Drôle de couve. Le premier plan est d'une banalité affligeante, une route bordée d'une haie, admettons de fusain – est-ce que ce végétal pousse en la tchékovienne steppe russe ? - ensuite une bande de terre d'une teinte rosâtre inusitée, avec cette espèce d'engin filiforme planté au milieu, on ne sait pas trop ce que c'est, disons une espèce de poteau électrique, sûr il n'y a pas de fils qui en partent, ou alors un filament bizarre, presque invisible, qui monte tout droit vers le ciel. Qui n'est pas bleu, l'est si blanc que l'on se demande si ce n'est pas seulement le support originel de l'image qu'un artiste négligent aurait laissé en blanc. Jusque-là tout va bien, même si en votre fort intérieur vous ne pouvez ressentir une ombre de malaise s'insinuer en vous. La peur vous gagne sur la gauche. Dans le lointain trois dégagements de fumée d'un rouge maladif, se réunissent en un énorme panache qui bouffe jusqu'au haut de la pochette. Ne serait-ce point une représentation de la centrale nucléaire de Tchernobyl qui vient d'exploser. Des idées noires se forment dans votre tête, ce qui n'est pas vraiment grave quand on pense à la nullité que vous représentez sur cette planète, par contre ce qui est affolant c'est que l'énorme panache de fumée rouge devient tout noir. Pratiquement sans prévenir, une ligne droite, une frontière rectiligne, normalement selon la théorie mathématique des catastrophes ça ne devrait pas se passer ainsi, les courbures des volutes répondent à des lois hasardeuses mais les probabilités du possible écartent ce type de réalisation, hélas le plus grave n'est pas là. J'ai dit noir, mais si vous regardez attentivement une nuance imperceptible s'impose, ce n'est pas noir, mais vert, foncé certes, mais cela ne ressemble pas à de la fumée mais possède une texture grumeleuse à l'imitation de feuillages que l'on retrouve dans les toiles les plus mystérieuses de Magritte. Etrange ! S'il vous plaît ne portez pas vos globes oculaires à l'extrémité de ce feuillage d'un autre monde, à l'endroit exact où dans les cieux les nuages de fumée commencent à se désagréger. Le houppier de cet arbre ( faussement ) céleste s'effiloche et l'on perçoit des rameaux effilés qui se détachent de la masse compacte. Il est encore de temps de vous éloigner, pensez à vos rêves peuplés de cauchemars... Tant pis pour vous. Délaissez votre vision botanique, n'est-ce pas l'aile immense d'un corbeau qui s'impose, celui maléfique du poème d'Edgar Poe. Les esprits forts s'amuseront : les ailes noires d'un corbeau sont bien noires affirmeront-ils tout moqueurs pour préciser que leur base n'est jamais rouge. Intelligences étroites, n'avez-vous jamais entendu de la signification grapho-symbologique de l'aile de corbeau dans les écrits alchimiques, la marque de l'expérience de la pierre rouge qui rate et redevient sombre materia prima, le corbeau n'est-il pas l'image du phénix qui ne renaît pas de ses cendres.

Je vous laisse méditer sur la noirceur désespérée de cette pochette.

Anton / Konstantin / Sergey / Leonid

Pentacar ( Inverted me ) : très rock, les guitares qui froncent le son de colère et un crécelle vocalique rauque qui n'est pas sans rappeler AC / DC, l'on croit être parti pour un bon rock sauvage, mais la basse appuie si fort que l'on est ailleurs, loin des australiens rivages, un gars qui hurle son envie de solitude, qui n'en peut plus des attentions que lui portent les autres, z'avez l'impression que la batterie massacre les crânes de vos amis à coups de batte de baseball pendant que le couteau électrique géant de la guitare découpe le corps des vos copines envahissantes. La deuxième partie du morceau s'atomise en une sanguinolente boucherie de bas étage. Crise de paranoïa aigüe. C'est fou ce que l'être humain possède de virtualités inemployées. Heureusement que la musique adoucit les mœurs. Que serait-ce sans cela ! Don't wanna visit your show : Cordes menaçantes, le gars hurle, plus seulement paranoïaque pour deux sous, vous pique une crise de jalousie hystérique dont même le Marquis de Sade n'a pas eu la prescience. Les instrus imitent ce qui se passe dans sa tête, pas beau à voir, magnifique à entendre. Ici les analystes se serviront de cette piste pour expliquer comment le jusqu'au-boutisme rock s'est historialement transformé en noise-rock. Song to sing alone : après les deux crises de folie furieuse vous comprendrez que le gars a un besoin urgent de changer de milieu. Alors comme le poëte lamartinien sur son vallon, il jette un regard mélancolique sur tout ce qu'il va abandonner. Bref c'est un blues. Ou plutôt un ravage mental qui voudrait donner le change et ressembler à un blues, il y a bien une guitare dans un coin qui fait semblant de pleurer, mais l'ensemble ressemble à un écroulement d'une pyramide d'un millier de boîtes de conserves dans un supermarché, le gars sort ses tripes de son gosier et joue de la lyre dessus. Quand on nous dit que les slaves ont une sensibilité exacerbée, après l'écoute de ce morceau vous pigerez. Les Possédés de Dostoïevski mis en musique. I rise – You shine : le gars hurle tel un goret dans son auge que l'on est en train d'égorger, les instrus essayent de le couvrir, arrivent à le faire taire durant trente secondes de pont, mais depuis le parapet vous gagne l'envie de vous suicider pour échapper au pandémonium qui suit, l'est tout seul le gars, lui reste encore un ennui et un ennemi, c'est lui-même. Instrumentation sans pitié pour vos neurones. Est-il possible de meugler si fort ? Roughside song : le titre ne pousse pas à l'optimisme. Vous n'aimeriez pas être à la place du gars, du bruit dans votre caboche qui cloche, la musique résonne comme ces coups de cognées que les bûcherons manient pour abattre les arbres des certitudes mentales : le gars ne sait plus où il en est, ce qu'il vit est-ce la réalité, ou un scénario qu'il édifie dans sa tête, alors il crie pour fondre les barreaux d'une prison peut-être imaginaire. La musique rampe, comme vous quand on vous a coupé les bras et les jambes. Eprouvant. Larsens loopingés. Highway : dernier morceau, la violence de la musique, vous force à réfléchir, difficile parmi les hurlements du gars, vous croyez qu'il est fou, et si ce n'était qu'une métaphore politique d'une société qui vous enferme dans la seule prison dont vous ne pouvez vous échapper, celle de votre chair, celle de votre esprit, la cacophonie instrumentale s'allonge comme une vis sans fin, il faudra encore supporter des effondrements des murs du son de la batterie, des portes de prison psychique qui claquent ne font pas de bruit plus destroy-cyniques.

A première écoute je m'étais dit, ils ont réuni tous leurs titres les plus percutants pour ce premier album. Beaucoup plus que cela, un véritable concept album, l'on est loin des malaises psychologiques petits-bourgeois de Tommy des Who. A l'image d'une société russe avec laquelle la nôtre présente de troublantes et négatives ressemblances.

Damie Chad.

SOUL TIME

LONELY FOR YOU BABY

 

Z'ont un culot monstre chez Soul Time, lonely et puis quoi encore ! J'espère que lors de votre dernière virée dans les bayous vous n'avez pas négligemment laissé traîner votre main dans l'eau et qu'un alligator affamé ne vous a pas croqué en guise de biscuit apéritif deux ou trois doigts parce que là vous avez besoin de la dizaine réglementaire, si vous ne me croyez pas comptez avec moi, un: Torz Rovers officie à la batterie, deux : Laurent Ponce, ne lui jetez pas la pierre s'il joue de la trompette, trois : Mathieu Thierry ténorise au sax, un homme qui a du chœur, quatre : Richard Mazza en fait des tonnes au baryton, cinq : Julien Macias n'y va pas doucement à la basse, six : François Fraysse joue le rôle du guitar-héros, sept :Thierry Lesage pianote sur son clavier, huit : tout s'éclaire Claire Franjeau bichonne la porcelaine de sax alto, encore une qui ne manque pas de chœur, la numéro neuf et la numéro dix, ne sont pas sur la photo à cause des aléas du confinement, se prénomment Carla et Lucie et occupent toutes deux le poste de lead-singer. Un véritable big band pour un futur big bang.

De cette marée humaine nous ne connaissons que Torz Rovers, martelait déjà la grosse caisse de Midnight Rovers dans notre livraison 149 du 20 / 06 / 2013 à La Miroiterie, un haut-lieu de l'underground-alternatif dont la mairie de Paris a fini - tous les prétextes sont bons pour empêcher les squats-culturels de survivre - par fermer...

Proviennent de tous les horizons, rock, jazz, ska, reggae, soul, mais se sont retrouvés autour de ce nouveau projet Northern Soul, rien de bien neuf, mais ce qui compte c'est la part de son âme qu'on engage.

Pour le moment n'est accessible qu'un sel morceau sur You Tube, on ne les voit pas, juste un disque qui tourne, un conseil ne le regardez pas, vous entendrez mieux. Une reprise de Sam Dees – il a été producteur chez Chess ce qui vous classe un homme – le Lonely for you baby qui est devenu un ( peut-être, le ) classique de la Northern Soul, autant dire que Soul Time ne manque pas d'ambition.

Je commence par être pointilleux : inutile de préciser qu'ils ne surpassent pas l'original insurpassable par définition. Mais n'ont pas non plus à rougir d'eux. Perso j'aurais inversé le mix, les cuivres devant et la rythmique sur la pédale douce, faut que ça rutile et que ça fasse du bruit comme trente boîtes de conserves ficelées au pare-choc de la voiture de votre percepteur, du malpropre hasardeux, mais si la fanfare mène la charge rien ne lui résistera. Le solo de sax scratché est très bon, trop bon, je l'eusse gardé pour un dérapage final incontrôlé.

Je finis par tresser des couronnes : la chanteuse, je ne sais si c'est Carla ou Lucie, elle y va franco, et ce n'est pas facile, excusez-moi de cette remarque genrée, mais Lonely for you baby, ça sent le mec, une fille ne le dirait pas comme cela, alors Carlu ou Lacie, elle y jette toute sa gourme, elle vous crache le morceau et tient le haut du pavé c'est elle qui entraîne les cuivres à sa suite, et ça déménage, une vraie reine. Ne vocifère pas. Survole. Autre remarque importante, sont bien tous réunis, pas un qui traînasse en queue de peloton ou qui sprinte à quinze mesures devant le troupeau attardé, tous ensemble, on sent qu'ils vont gagner. Misent sur la musique et pas sur la danse. Z'ont déjà le secret de la réussite. Ne se sont pas embarqués sans biscuits, et ils ont les dents longues pour les dévorer, et vous avec.

Bref on attend la suite avec impatience.

Damie Chad.

THE SPY

KLONE

 

On parlait d'eux voici trois semaines ( in Kr'tnt ! 484 du 12 / 11 / 2020 ) dans les regards conjoints sur les spectacles métalliques auxquels Hélène Crochet organisatrice des Apéros 77 et blogueuse sur égoutmetal et mézigue pâteux avons depuis la fosse aux lions participé sans nous connaître. Elle n'avait pas aimé la prestation de Klone, pas spécialement celle de ce soir-là mais la sorte de musique qu'ils pratiquent, perso j'avoue que si je préfère les tintouins méchamment plus électriques, je dois reconnaître que leur live fut en leur style particulièrement réussi. Et voici que dans mon fil FB deux mots attirent mon attention, deux minuscules syllabes de trois lettres chacune, The Spy, tiens une vidéo des Doors, tout ce qui touche à Jim Morrison m'intéresse, non ce ne sont point les Doors, mais Klone qui ont repris le morceau des Doors. Faut un sacré culot en ce bas monde pour s'offrir de telles fantaisies.

En septembre 2019 Klone a sorti son sixième album, intitulé Le Grand Voyage, chanté en anglais, qui fut fort loué et moult encensé sur tous les webzines métalleux du pays. L'est vrai que l'album en impose. L'on en a dressé l'oreille jusqu'aux States, avec cet opus Klone a atteint un haut niveau d'intensité, joue désormais dans le haut du panier international en leur genre que nous qualifierons de progressive-metal. Même si les étiquettes sont faites pour être arrachées. Rien qu'au soin apporté à la pochette, l'on comprenait que Klone avait compris que le rock doit être appréhendé en tant qu'art total et que rien ne doit être laissé au hasard. En juin Klone sortit une vidéo officielle sur You-Tube, de Yonder le titre qui fit l'unanimité dans les multiples chroniques qui saluèrent la sortie du disque. Pas tout à fait une vidéo, eux-mêmes la qualifient de short-film. L'est sûr que dans un festival de courts-métrages poétiques Yonder aurait toutes les chances de remporter le premier prix. La beauté des images est à couper le souffle. Un homme vêtu de noir – large chapeau qui n'est pas sans évoquer les premières images des Aventuriers de l'Arche Perdue, ou pour ceux qui aiment les références françaises la silhouette de Johnny Hallyday dans Le spécialiste – c'est tout. Scénario d'une simplicité sublime. L'homme dont on ne sait rien, tout comme vous, marche vers son destin. Ne vous réjouissez pas trop de la comparaison, va d'un pas tranquille vers la mort. Mais au contraire de vous, il traverse des montagnes désertiques de rocs et de sables nimbées d'une merveilleuse lumière orange. Comme quoi un voyage, fût-il grand peut mal se terminer.

L'album possède neuf titres + une gosth track : la reprise de The Spy des Doors.

The Spy figure sur le cinquième album des Doors, enregistré en 1970. Belle pochette, la photo a été prise impromptue, les Doors passent devant l'hôtel par hasard, le gérant leur refuse la permission de take the pic, ils repassent plus tard devant la vitrine, la salle d'accueil est vide, ils se précipitent, s'installent au comptoir, dans la boîte en quelques secondes, ils s'esquivent, ni vus, ni connus. Hormis cette anecdote, le disque est une réussite parfaite. Les disques des Doors, à l'exception The Soft Parade qui développe peut-être le concept le plus intéressant mais qui reste inabouti, sont autant des objets-rock incontournables que des objets de poésie. Ptyx mallarméens assez rares. Cela tient à la qualité des morceaux certes mais avant tout à cette étrange atmosphère dans laquelle ils baignent. Synesthésiquement parlant, Morisson Hôtel flotte dans une mystérieuse aura d'algue verte...

Derrière Klone se trouve la Klonosphère, groupes centrés sur la région de Dijon, les anciens membres, le groupe de scène, le groupe qui enregistre en studio. D'autres formations avec lesquelles certains membres jouent aussi. Nous sommes très loin par exemple des rencontres hasardeuses qui au milieu des années soixante ont permis à un groupe de rock comme Variations de se réunir. Il existe tout un background artistique derrière Klone, en un demi-siècle un véritable terreau french-rock a vu le jour. La tête pensante et actante de Klone est formée du trio : Guillaume Bernard ( guitare ), Aldrick Guadagnino ( guitare ) Yann Ligner ( chant ). C'est sur ce dernier, doté d'une technique vocale prodigieuse que repose le groupe, ce qui ne signifie pas que les autres sont des tâcherons ou des mercenaires, quant le chant est pointu, les accompagnateurs ne sauraient être obtus. D'ailleurs pour s'attaquer à une reprise des Doors, faut être, je reprends un adjectif qui revient souvent dans les articles qui leur sont consacrés, couillus.

THE SPY / DOORS

( version avec lyrics sur YT )

 

Au juste c'est quoi The Spy. Pas autre chose qu'un blues. La version remastérised 2020 le démontre à l'excès. Lorsque l'on a restauré le plafond de la Chapellle Sixtine et que l'on a découvert ses couleurs tendres et crues, l'on a crié au scandale. Mais personne n'était assez âgé pour se vanter d'avoir vu les teintes originales. Pour les Doors, les versions non-remastérisées sont encore dans l'oreille de beaucoup de monde, et certains ont gardé avec soin leurs microsillons et le matériel d'écoute adéquat. Le confort d'écoute moderne d'aujourd'hui sera jugé totalement obsolète dans un demi-siècle, qu'écouteront au juste nos descendants, la magie des Doors ne se sera-t-elle pas totalement évaporée... Donc un blues, mais transfiguré, la blue note métamorphosée en ritournelle qui devient vite obsédante. Et puis de temps en temps, les Doors descendent le rideau de fer avalanchique de l'orchestration, bien chiche et frustre certes car le trio des musicos n'use guère d'additifs ou de subterfuges. N'en éprouvent pas la nécessité, z'ont mieux à leur disposition qu'un orchestre symphonique, le plus bel instrument qui ait jamais été inventé, la voix humaine. Mais là ce n'est pas la voix de n'importe qui, celle de Jim Morrison, chargée de mystère, de profondeur, baignée d'une lointaine mélancolie, mais si présente en vous qu'il vous semble que le roi lézard chantonne à votre oreille, rien que pour vous. C'est d'ailleurs le sujet de la chanson. L'espion qui connaît tout de vous, vos rêves, vos envies, vos désirs. Des espions de cette sorte qui murmurent à votre âme vous en connaissez beaucoup, qu'ils vous tendent leurs livres, ou leurs tableaux, leurs films, leurs poèmes... Cela Morrison, le sait très bien, l'énonce avec des mots très simples, I'm the spy qu'il dit, O. K Jim on a compris, et c'est là que l'animal érectile morrissonien vous plante son dard dans le dos, cinq mots qu'un élève de sixième comprend sans difficulté, in the house of love, le mystère et le mal-être s'épaississent, ce n'est plus un mec qui vous embrouille à l'épate en faisant des claquettes solfégiques, il vous le chuchote dans le cou tel un secret honteux, l'a sorti son arme fatale, son organe vocal, ce n'est plus un espion, c'est pire, c'est l'indiscrétion en personne qui se charge des révélations, n'en parle qu'à vous, mais elle vous plonge dans une inquiétude généralisée, ne serait-ce pas vous qui vous parleriez à vous-même... Et c'est donc à cela que Klone se mesure.

 

The Spy / Klone

 

Que voulez-vous, il y a des mecs qui ne doutent de rien, qui déklonent à plein tube. Je n'ai pas voulu les enfoncer, j'ai décidé de leur laisser une chance. J'aurais pu d'abord me conforter dans mon idée de base, en écoutant les Doors en premier lieu, mais non, bon prince, suis allé d'abord à leur version. Sont des malins chez Klone, les Doors vous en mettent plein les oreilles, ne craignez rien, nous aussi, mais en plus vous en aurez plein les yeux. Les deux pour le prix d'un. A croire qu'ils ont fait la chanson pour illustrer la vidéo. De belles images certes, mais tout le monde peut en faire autant, une bonne banque de données, style photos de Géo Magazine et c'est dans la poche. Celle des imbéciles. Je ne sais pas s'ils ont concocté l'affaire en un brain-trust de trente jours avec tentes de sudation obligatoires et jeûnes à répétition à effrayer une armée de spartiates, ou si l'idée géniale est arrivée comme un cheveu sur la soupe. Bordel de bordel, c'est quoi cette house of love. Question irritante. Mais eux ils ont trouvé. Ce n'est pas la réponse qui est intéressante, c'est la manière dont ils vont vous la donner sans le dire, mais en le montrant par des images. Si par hasard ils finissent en prison, portez-leur des oranges, car ce sont des adeptes de leur couleur. Font ainsi le lien avec la vidéo de Yonder. Superbes paysages, au loin une ville, laquelle, n'importe laquelle, la Cité Morrissonienne par excellence celle qui ouvre le recueil de The Lords & The New Creatures. '' La ville forme souvent physiquement mais inévitablement psychiquement un cercle. Un anneau de mort avec le sexe à son centre'' . Mais ne s'arrêtent pas là. La courbure du globe apparaît à l'horizon et nous voici plus haut que notre monde sublunaire, là où commence l'anneau de l'éther illimité. On se croyait dans une miteuse maison de passes et nous voici dans l'apeiron d'Anaximandre...

Mais vous vous méfiez des illusionnistes qui vous traumatisent la rétine, alors taisez-vous et écoutez. Vous la prennent un ton plus bas, mais sans trop. L'orgue de Manzareck, l'ont laissé au garage, ce sont les guitares qui s'en chargent avec une basse en même temps lourde et feutrée. Yann Ligner se place dans une lignée jimique, sur les deux premiers vers, vous pensez à une pâle imitation, mais non sa voix monte, monte, plus haut, plus haut, non il ne pousse pas dans l'aigu mais dans l'amplitude, pas sur le spectre horizontal mais sur le vertical, ne s'étend pas en largeur, mais sa voix semble se détacher du cordon musical et se mettre en orbite très haut à l'altitude excentrée d'une planète inconnue, découpe les vers, chaque accentuation nous éloignant de la terre pour le monde des songes, lorsque voix et musique se taisent, l'écran devient noir, et l'on repart vers les étoiles comme si l'on était une sonde spatiale dont l'image aurait été occultée par un astre inaperçu ou la béance d'un trou noir, le morceau est raccourci, condensé, et s'arrête sur l'évocation répétée de cette peur qui grignote nos synapses.

Une belle réussite. Fidèle aux Doors, aucun iconoclasme nihiliste dans cette démarche qui ouvre une autre voie. Une autre voix.

Damie Chad.

P. S. : il existe une version 2, Jim avec un accompagnement style piano-bastringue, qui efface l'atmosphère angoissante, la voix de Jim est beaucoup plus désinvolte, un peu comme un assassin qui plaisante avec sa victime qu'il tuera dans quelques heures. Sur le pont le piano se permet quelques discrètes dissonances jazzy qui installent l'amorce d'un malaise. Ne vaut pas celle qui a été retenue, bien qu'elle soit digne d'attention.

 

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ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

 

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

 

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

40

Nous l'invitâmes à boire un café. Il parut soulagé mais se confondit en excuses, soucieux de nous poser tant de tracas, une fois assis à table, nous n'eûmes pas besoin de l'interroger. Il raconta d'un seul trait son terrible destin.

    • Je m'appelle Jean-Pierre Dupont, j'avais six ans lorsque je fus victime d'un terrible accident de voiture. Mes parents étaient morts. Moi aussi. On nous transporta à la morgue. C'est-là qu'un chirurgien s'est intéressé à mon cadavre. Pour une noble cause, il devait le lendemain recoudre une main à une personne accidentée à son travail. Une opération difficile, par conscience professionnelle il voulait s'entraîner, dans mon malheur j'avais eu les deux mains tranchées, écrasées, réduites en charpies. Pour mon bonheur – excusez-moi, c'est ainsi – deux autres enfants étaient décédés dans le service de cancérologie, leur taille correspondait à la mienne. Emporté par l'amour immodéré de son métier et le désir de renvoyer un ouvrier au plus vite au boulot, Auguste – c'est le prénom du chirurgien - m'a greffé deux mains au bout de chacun de mes deux moignons. C'est alors que je me suis réveillé. Je n'étais pas vraiment mort. Auguste s'est affolé, il a vu sa carrière brisée, mais c'était un homme bon et intègre, il m'a emporté chez lui... Durant des mois il m'a soigné, au bout de deux ans j'avais récupéré l'usage de ces quatre mains qui n'étaient pas à moi...

    • Voilà qui n'est pas banal, murmura le Chef, j'en profite pour allumer un Coronado, mais qui vous a dit de venir nous trouver ?

    • Encore une longue histoire... Auguste m'a gardé chez lui, il ne savait pas quoi faire de moi, s'il me mettait à l'école, il y aurait une enquête, alors j'ai toujours vécu avec lui, il m'a appris à lire, à écrire, s'est très bien occupé de moi, un deuxième papa, il me disait que quand je serais grand il m'inscrirait à l'université, mais je n'ai pas voulu, je suis resté avec lui, le monde me faisait peur... aujourd'hui j'ai vingt-deux ans, il est mort l'année dernière, à son enterrement je me suis habillé de ce grand imperméable pour que personne ne voie mes mains et j'ai continué à vivre dans la maison, en me faisant livrer ce dont j'avais besoin...

Alfred servit le café. Je ne pouvais détacher mes yeux des mains de Jean-Pierre, avec une il remuait le sucre tandis que sa voisine trempait un petit gâteau dans la tasse...

    • J'ai essayé de rentrer en contact avec des gens... j'avais peur, je me suis dit que ce serait plus facile avec des enfants, je suis allé à la sortie d'une école, à cause de mon imperméable et de mes mains dans les poches j'ai été pris pour un exhibitionniste... J'ai été poursuivi par une meute de bonnes femmes en furie... Je ne suis plus jamais sorti de chez moi !

L'on entendit craquer l'allumette avec laquelle le Chef allumait un nouveau Coronado.

    • Il y a trois jours au fond de la poche d'un veston j'ai trouvé un numéro de téléphone... j'ai appelé on a répondu tout de suite...

La porte s'ouvrit brutalement. C'était Thérèse...

    • Ils arrivent, s'écria-t-elle !

41

Lors des batailles décisives Napoléon sortait sa lorgnette, le Chef se contenta d'allumer le Coronado des grandes occasions, celui qu'il ne fumait que dans les passes difficiles, facilement reconnaissable à sa robe marquée de stries rouges qui ne sont pas sans rappeler les traits carminés dont les peaux-rouges marquaient leurs poneys lorsqu'ils empruntaient le sentier de la guerre. En quelques secondes la villa s'était transformée en fourmilière. Molossito et le curieux Westie blanchâtre, cornaqués par Molossa effectuaient à toute vitesse des allées venues entre la cuisine et le camion que j'avais rentré en marche arrière dans le jardin. Chacun ramenait dans sa gueule des bouteilles de Moonshine polonais dont Thérèse se hâtait d'enfourner le contenu dans le réservoir du camion et des deux solex. Alfred avait pris l'initiative d'emmener Jean-Pierre dans la cave, où ayant fait basculer un rayonnage de la bibliothèque Alfred dévoila une véritable cache d'armes, trois grosses caisses qu'ils hissèrent dans la benne. Jean-Pierre arborait un lumineux sourire : '' C'est la première fois de ma vie que je m'amuse'' ne cessait-il de répéter en courant de tous les côtés.

 

42

Je m'installai au volant du Dodge, je ne vous l'avais pas précisé parce que les lectrices n'aiment pas être embêtées avec des détails techniques, mais enfin c'était un de ces véhicules – en reste-il seulement trois en état de marche de nos jours – qui avaient débarqué avec les ricains en 44, petits gabarits, inusables, robustes, capables de pousser un train de marchandises de quarante wagons – roues d'acier sans pneus, j'avais eu la chance inouïe de le dégoter sur le premier chantier que j'avais visité, preuve que les dieux sont du côté de rock'n'roll. Molossito s'était casé sur le plat-bord à gauche du volant, Molossa à droite fut la première à pousser deux aboiements brefs, nous arrivions au niveau du parc où Thérèse et moi... il était rempli de CRS et de gardes mobiles qui ne semblèrent nous accorder qu'une attention amusée, '' Ouah ! Ouah ! Ouah ! '' Molossito s'égosillait, devant nous surgirent d'une rue adjacente, deux énormes camion à eau qui de front s'avancèrent vers nous. Un gars, je reconnus le conseiller du Président qui nous avait si ironiquement congédié lors de notre entrevue, s'avança au milieu de la chaussée et mégaphone en main hurla '' Rendez-vous, vous êtes cernés'' Il n'avait pas tort, derrière le Dodge, CRS et gardes-mobiles s'étaient déployés sur la chaussée pour fermer la nasse. Le piège se refermait.

 

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Sur eux. Dans le jardin de la villa le Chef jeta son cigare à terre, c'était le signal. Thérèse mit les gaz de son vélomoteur dopé au moonshine polonais, Alfred l'imita, les pauvres agents de la sécurité publique crurent que deux torpilles téléguidées fonçaient sur eux, ils s'écartèrent et s'égaillèrent dans toutes les directions, mais c'était trop tard, déjà comme Metzengerstein dans la nouvelle d'Edgar Poe poussait son cheval sur les cadavres de ses ennemis, les roues des solex roulèrent sur leurs corps, lorsque les deux vélos arrivèrent à ma hauteur, j'appuyais sur l'accélérateur, j'entrevis le sourire ravageur du Chef qui brandissait un bazooka, Jean-Pierre faisait de même, pour un gars qui n'était jamais sorti de chez lui, il semblait parfaitement à l'aise. Les deux camions citernes déchiquetés de part en part par les roquettes explosèrent, je freinais brutalement le temps de laisser les quatre cavaliers me rejoindre, le Chef s'installa dans la cabine tandis que les trois autres se hissèrent dans la benne.

    • Agent Chad, écrasez-moi ce cloporte au mégaphone pendant que j'allume un Coronado !

    • Voilà, c'est fait Chef, très proprement, le mégaphone n'est même pas cabossé, il ne faut pas dépenser les deniers de l'Etat, déjà que le Président vient de perdre un de ses conseillers !

    • Agent Chad je vous félicite pour votre conduite citoyenne, ne pas gaspiller les impôts de nos concitoyens devrait être le premier souci de tout dirigeant. Mais trêve de bavardages, foncez droit devant, l'ennemi ne va pas tarder à se reprendre ! Tout droit !

    • Tout droit, bien sûr Chef, mais dans quelle direction, au juste !

    • Vers la tour Eiffel, nous allons leur jouer un tour de fer à notre façon !

( A suivre... )